Attention, chef d'oeuvre! (25/07/2005)

Tout le monde n’a pas la chance de commencer sa carrière d’écrivain avec un roman pareil. « Les frère Y » est le genre de bouquin qu’on avale sans mâcher, fasciné par l’univers dès les premières lignes, amusé par le ton léger, l’écriture fluide et le sujet poignant. Nous sommes au milieu du dix-neuvième siècle, en Italie, une femmes donne naissance à un « monstre » un enfant à deux têtes, deux troncs, quatre bras mais un seul corps. Et trois fesses, pour compliquer les choses. Un Y, en résumé, pour les rendre simples et claires à tous.
Le livre ne nous racontera rien d’autre que la vie de ces frères siamois, le parcours extraordinaire qui les fera passer entre les mains des charlatans et des médecins, sur les chemins de l’Italie et dans les villes les plus prestigieuses de l’Amérique, pour revenir, comme Voltaire, cultiver leur jardin dans les environs de Venise.
Bien sûr, on nous parle d’une époque révolue, d’un monde de foires et d’expositions qui n’ont plus grand chose à voir avec les nôtres. Et pourtant, à travers le portrait de ces « aberrations de la nature », ce sont des préoccupations toutes contemporaines que l’auteur nous fourre dans la tête : le cabinet des horreurs du docteur Spitzner est-il vraiment différent du défilé de malades chroniques proposé par Jean-Luc Delarue dans ses émissions de télé-poubelle? La fascination du public pour les enfants-troncs, les femmes à barbe et les hommes-singes n’est elle pas la même que celle de l’audimat d’aujourd’hui pour les TOC, les abouliques, les névrosés de toutes sortes, repoussoirs et exutoires de notre normalité déprimante, de notre banalité épuisante ou de nos travers inquiétants ?
On ne peut que recommander la lecture de ce premier roman exceptionnel, particulièrement à ceux qui ont aimé « Freaks » ou « Elephant Man » au cinéma, à ceux qui traînent dans les musées de sciences naturelles à la recherche des bocaux de formol et des tables de dissection. Mais il ravira aussi tous ceux qui aiment que la lecture les plongent loin de leur quotidien, dans la campagne italienne du dix-neuvième, sur le pont des transatlantiques et les baraques de foire de l’Europe entière. Les personnages sont hauts en couleur, les scènes visuelles, on s’amuse comme au cinéma, c'est divertissant et érudit, malin et tendre à la fois. On tourne les pages sans compter. Pour un premier essai dans l’écriture de fiction, Marie-Eve Stenuit réussit un chef d’œuvre !

Marie-Eve Sténuit, Les frères Y, Le Castor astral, 2005.

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