Pourquoi je ne lis plus les manuscrits qu’on m’envoie (09/09/2008)

manuscritsbrouillonsprojets.jpgIl y a quelques semaines de cela, l’excellent blog de Georges Flipo faisait le point sur les différentes méthodes pour faire publier un manuscrit. Dans son inventaire, il citait (et détaillait avec minutie dans un post très intéressant, dont je vous recommande la lecture) la méthode pilotée, terme que j’ignorais jusque là, qui consiste à envoyer son manuscrit non pas à l’éditeur mais une tierce personne, un écrivain la plupart du temps, qui, enthousiaste, recommandera ensuite le texte à un éditeur. Si je ne connaissais pas le nom, je n’ignorais pas la pratique, bien entendu, j’ai suffisamment usé mes fonds de culottes sur les sièges à roulettes de feu les éditions Les Eperonniers, dans les couloirs du Grand Miroir ou dans l'arrière-cuisine des éditions Luc Pire (juste à côté d ela salle de réunion) pour avoir observé le phénomène. Quand j’officiais en tant que directeur littéraire, j’avais l’habitude de recevoir des manuscrits chaudement recommandés (ou mollement, d’ailleurs, ce qui rendait la situation encore plus amusante) par des auteurs de la maison.

Depuis quelques temps, j’ai l’impression d’être passé de l’autre côté du miroir (qui n'est pas grand, celui-là, c'est un face-à-main tout au plus). Ce sont des auteurs débutants, des amis proches comme des inconnus, qui m’envoient leurs manuscrits ou, plus poliment, m’envoient un message pour me demander si je veux bien lire le texte qu’ils viennent d’achever et dont ils ne savent pas, la plupart du temps, s’il mérite publication ou non.

J’ai beau être gentil, poli, cordial, je n’ai plus qu’une réponse pour ce genre de demande.

Je refuse, tout simplement.

Pourquoi ? Pour des tas de raisons… Elles sont si nombreuses, d’ailleurs, que je ne suis pas certain que cela soit nécessaire de les expliquer ici. Allez si, zut, je me lance.

Manuscrit-de-merde.jpgD’abord parce qu’on me demande, c’est de remplacer l’éditeur et, en particulier, ce rôle crucial au sein des maisons d’édition qui est celui des lecteurs, payés pour lire les manuscrits (en partie, début milieu fin, puis en détail si ce premier test est concluant) et renvoyer un commentaire à l’auteur. Je ne suis pas responsable de ce que les éditeurs ne remplissent pas tous bien ce rôle. Même plus, rien ne dit que, sous prétexte que je publie et que je connais des éditeurs, je suis un bon lecteur. Non, au contraire, je l’avoue volontiers comme je l’avouais déjà quand j’étais lecteur pour la collection Embarcadère que je dirigeai chez Luc Pire, je suis un mauvais lecteur. Je n’aime pas tout dans la littérature, loin de là (et c’est bien normal), je n’aime surtout que rarement ce qui se vendra bien (et qui intéresse au premier chef les éditeurs), et si je détecte dès les premières lignes les vrais talents d’auteurs c’est tout simplement parce que l’exercice est à la portée de tout lecteur. Il ne faut aucun talent pour se rendre compte en un paragraphe que Perec, Vailland, Baillon, Dantec, Malinconi, Pouy ou Chevillard sont des auteurs à l’écriture hors norme. Tout le monde le voit. C’est beaucoup plus difficile de détecter qu’il y a un potentiel de vente dans un manuscrit de Gavalda, de Lévy ou de Barbéry. Ces auteurs vendent énormément alors qu’ils ont exactement la même écriture que des milliers de manuscrits refusés. Ne me demandez pas d’explication, je n’en ai pas.

Ensuite, parce que je trouve déjà trop peu de temps pour écrire mes propres textes, que je suis toujours en retard pour tout ce que j’ai promis d’écrire, que j’ai une PAE (pile à écrire) bien plus haute que ma PAL (pile à lire, très haute du côté BD, très plate du côté roman en ce moment), que j’aime faire des siestes, boire et papoter, jouer à Jarnac et à Mr. Jack, regarder Deadwood dans la nuit tiède et que tout ça ne laisse pas beaucoup de temps pour lire les manuscrits des autres.

Manuscrit-cancer.jpgEnfin, pour une raison plus profonde, qui est liée aux mauvaises expériences que j’ai eues. Je n'en citerai qu'une mais il y en eut bien d'autres. Une vague connaissance m’avait filé son manuscrit, un bouquin egobiographique où l’auteur confessait dans un même flot ses travers de sexualité égarée et son génie incompris pour la littérature. J’ai lu avec beaucoup d’efforts ce pensum jusqu’au bout, j’ai écrit, avec minutie, quatre pages de commentaires détaillés et bienveillants. Mais je n’ai pas été assez rapide, la lettre attendait de partir à la poste quand j’ai été envahi par un flot d’insultes, jaillis de l’auteur, vexé que je n’aie pas crié plus vite au génie pour son texte illisible, qui me traitait de tous les noms pour n’avoir pas tenu promesse. Je lui en ai fait une que j’ai tenue : j’ai promis de déchirer les quatre pages de commentaires et de ne pas les lui envoyer. J’ai tenu parole. Mais je me demande encore d’où on peut sortir pareil culot : imposer à quelqu’un de lire son texte puis l’insulter parce qu’il ne l’a pas lu… Cette expérience, et quelques autres que je tairai ici, m’ont convaincu qu’un auteur qui envoie son texte pour qu’on lui dise ce qu’on en pense n’attend pas de commentaires ni de critiques (même s’il prétend tout le contraire), il attend juste des louanges et des félicitations. Et c’est bien compréhensible. Qui a envie de donner un texte en lecture pour recevoir en retour une liste de commentaires négatifs, de critiques et de phrases soulignées en ondulé ? Personne, bien sûr.

Il n’y a que des imbéciles comme moi pour aimer les commentaires détaillés, les critiques pointilleuses et érudites, les lectures expertes, attentives, vicieuses, qui décortiquent les mouches, dépistent les faux-semblants et aident un auteur à amener son texte un pont plus loin, là où l’eau coule de source…

Je ne lis plus les manuscrits parce que la seule chose que je devrais faire, pour conserver l’amitié ou l’estime de ces auteurs qui me confient leur texte, c’est de ne pas lire leur manuscrit mais les retourner au plus vite (trois jours maximum, après ça, certains s’impatientent déjà) avec une longue lettre standard de félicitations. Je devrais pouvoir écrire ça, une lettre de reconnaissance de talent, emplies de fleurs qu’on lance à la volée.

C’est une idée, ça, je pourrais même vendre le modèle à quelques éditeurs. On remplacerait la formule habituelle (« bla, bla, ne rentre pas dans le cadre de nos collections, bla, bla ») par une nouvelle, plus valorisante, votre manuscrit est formidable, nous nous en voudrions de gâcher sa commercialisation en le cantonnant à une maison comme la nôtre, il mérite mieux que ça…

Bon, dès que j’ai un peu de temps, je m’attaque à cette lettre-là.
D’ici-là, plus la peine de m’envoyer de manuscrits, vous connaissez déjà ma réponse…

Sachez en tout cas que mon refus n’a rien de personnel (et c’est sans doute pour cela qu’il est d’autant plus décevant).

PS : La photo qui illustre cette note est tirée du blog de Marc Pautrel et de sa note sur un sujet fort proche (voire identique)

PPS : les deux magnifiques tampons peuvent être commandés auprès du tampographe Sardon, son blog vaut le détour, d'ailleurs.

09:43 | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : littérature, manuscrit, auteur, éditeur, roman, lettre de refus, georges flipo | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | |  Imprimer