Du Parrondo brillant sur papier mat (26/01/2006)

« Ni plus ni moins », le dernier album de José Parrondo est tout simplement envoûtant. Vu de l’extérieur, il peut sembler anodin, avec sa couverture qui représente un gros nuage blanc, sur fond de ciel bleu, où deux bonshommes sans bras semblent scruter le plancher des vaches. Le trait naïf, l’écriture cursive, les à-plats de couleurs vives, tout cela doit sembler bien enfantin à la plupart des lecteurs. Et un coup d’œil rapide à l’intérieur du livre confortera sans doute cette impression. 46 planches de trois fois trois cases chacune, avec le même trait, les mêmes couleurs vives et les mêmes bonshommes, voilà qui ne semble guère passionnant. Eh bien, détrompez-vous, c’est exactement le contraire. Les 414 cases de l’album suivent les péripéties rocambolesques d’un bonhomme de neige, d’une bande de fourmis, d’un somnambule, d’un oiseau ou d’une camionnette de shampooing, dans un enchaînement hallucinant, qui semble réinventer les principes de la causalité et les ressorts de l’humour pince-sans-rire.

S’il s’agissait de résumer l’histoire, il suffirait de dire que l’assaut des fourmis sur un bonhomme endormi finira par entraîner la chute d’une montgolfière, ce qui ne révèlera rien du tout, si ce n’est la complexité de l’esprit du facétieux Parrondo, toujours prêt à rebondir à la case suivante dans un nouveau repli de son univers faussement enfantin. Il est bien difficile de mettre des mots sur un livre pareil. On se contentera de dire que le dessin et la narration, réduits à leur plus simple appareil, à leur essence presque, réussisse à emporter le lecteur dans un tourbillon quasi magique. Une prouesse que Lewis Trondheim, pourtant génial par ailleurs, ne parvient pas à réussir dans ses albums sans parole comme le tout récent « Mister I » publié chez Delcourt. José et Lewis ont bien des choses en commun, le premier est, avec cet album, passé maître dans l’art de la narration sans parole, le second reste à l’heure actuelle l’un des meilleurs dialoguistes de la BD française. On attend d’ailleurs toujours la suite de leur collaboration sur la série « Allez raconte ». Mais c’est une autre histoire.

« Ni plus ni moins », en tout cas, n’en raconte pas une seule mais des tas d’un coup. Et c’est aussi un objet magnifiquement réalisé. Chapeau aux Requins marteaux pour la qualité du travail éditorial !

José Parrondo, « Ni plus ni moins », Les Requins Marteaux, 2006. 46 planches couleur. 14 €

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