Benoît Labaye nous a quittés (23/04/2006)

Je viens d'apprendre à l'instant le décès de Benoît Labaye, tout jeune romancier belge, puisqu'il ne publiait que depuis deux ans. Difficile de mettre des mots sur le départ de quelqu'un qui en laisse derrière lui. Mieux vaut désormais le lire que le commenter, et pour vous inciter à découvrir ses deux premiers livres, en attendant la publication posthume du troisième, voici les notes que j'avais rédigées après la lecture des deux romans.

Les mots contre les maux 

La littérature peut parfois aider à vivre, si par vivre on entend le fait de percevoir le monde tel qu’il est vraiment, avec ses limites, ses faiblesses, et qu’on accepte qu’à défaut de la changer de fond en comble, on peut simplement le rendre plus humain, plus accueillant. Un roman, paru ces derniers mois traite justement du rapport qu’on peut entretenir avec la maladie.(...)

Avec « Vous ne dites rien », Benoît Labaye se lance dans la littérature de fiction. Ce Liégeois pratiquait l’écriture depuis de nombreuses années, en amateur, et on attendait avec impatience le premier roman qu’un éditeur accepterait de proposer au public. C’est à présent chose faite et ce petit livre bleu, publié dans la jolie collection « Luciole » des Editions Luce Wilquin, valait la peine de patienter. Ici, c’est la maladie qui est au centre du récit. Un homme sans identité connue est accueilli dans un hôpital de la région liégeoise, on l’a trouvé presque congelé en plein hiver au cœur des Fagnes, dans un lieu isolé où, normalement, nul n’aurait dû lui porter secours. Qu’est-ce qui a bien pu pousser cet homme à choisir une fin pareille ? Et pourquoi ce mystérieux personnage ne parle-t-il pas, maintenant qu’il a recouvré un semblant de santé ? Ce sont ces questions et bien d’autres qui vont tarauder une infirmière plus compatissante que les autres. Une relation aussi étrange qu’intense va se nouer entre les deux personnages. On débouche ainsi sur de nouvelles interrogations : quelles sont les limites de l’amour ? Peut-on aimer un homme dont on ne peut rien obtenir ? N’est-on pas déjà mort quand on a voulu en finir pour de bon ? Et quelle force pourrait alors nous ramener à la vie ? L’espoir, simplement ? N’est-ce pas un peu court ? Benoît Labaye tient là un sujet poignant, sur lequel il ne s’appesantit jamais, au contraire. La construction de son récit, en petits chapitres successifs, dévoile progressivement les fils qui tendent ses personnages, les fils dont ils sont tissés et qui les rendent à la fois si fragiles et si forts. Il n’est jamais question de donner des réponses toutes faites. Le pouvoir de suggestion du roman, la force d’évocation de ces destins déchirés, de ces vies qui se croisent, entraînent le lecteur sur des chemins où il devra, seul, trouver des bribes de réponses, ou plus simplement, accepter que ses certitudes soient ébranlées. C’est là, sans doute, l’une des forces de la fiction : offrir à ceux qui s’y plongent un monde aussi complexe que celui dans lequel nous vivons, aussi dense, aussi riche, mais dépouillé des certitudes qui nous rassurent. Et la leçon que porte ces deux textes est fort proche : par-delà la maladie, ce sont des êtres humains qui souffrent et qui aiment. Rien ne sert de les juger ou de les sanctionner, il faut simplement aller à leur rencontre et les laisser venir à la nôtre, par-delà les stéréotypes. En lisant ces deux romans, on ne doute pas un instant que c’est une démarche salutaire.

Benoît Labaye, « Vous ne dites rien », Luce Wilquin collection Luciole.

Terre lointaine

C’est au fond la question de la résignation qui est au centre du deuxième roman de Benoît Labaye. Alors que son héros se rend en Australie avec une femme qu’il aime, dans l’espoir d’y construire une nouvelle vie, voilà qu’il atterrit dans un lieu étrange, sorte d’hôtel de luxe en bordure d’une plage de sable blanc. Il s’y retrouve coincé en compagnie d’une série de personnages aux caractères bien différents, qui tous sont préoccupés par l’envie de quitter ce lieu mais semblent rendus immobiles par une force irrépressible. De jour en jour, ce qui semble n’être qu’une étape dans un voyage appelé à se poursuivre se transforme en une sorte de piège dont il est impossible de s’échapper.

On pense au village du Prisonnier, dont on aurait retiré tout système hiérarchique, ou à l’univers oppressant de Cube, dont il est impossible de se détacher sans en comprendre la nature profonde. Sont-ils au purgatoire, dans l’attente d’un jugement dernier ou, à tout le moins, d’un jugement tout court ? Sont-ils coincés à tout jamais ? Benoît Labaye touche avec « Australie » à un sujet poignant, presque métaphysique. L’arrachement aux êtres aimés, la solitude terrible dans laquelle se trouvent plongés les personnages pour répondre aux questions insolubles, ce sont autant de matériaux puissants qui donnent au roman une profondeur certaine. Mais on regrette que la surface ne soit pas à la hauteur de cette ambition. Les personnages manquent de relief, on les sent trop éthérés, diaphanes, alors qu’on souhaiteraient qu’ils soient concrets et quotidiens, hauts en couleur et riches en rebondissements. Et leur errance un peu terne et fade ne fait rien pour soulager le besoin du lecteur de sentir quelque chose qui vibre, un drame qui se noue, un enjeu qui se trame. Il faudra attendre l’évasion finale pour que la tension monte un peu, mais ce n’est pas assez. On sort du roman comme on s’échappe de cet hôtel immaculé au bord de la plage, avec une grande envie d’oxygène et d’action, avec l’impression qu’il ne s’est au fond rien passé pendant tout ce temps. Dommage, car grâce à la lecture du roman précédent de Benoît Labaye, on est bien convaincu qu’il est capable de donner corps à des personnages et de nous faire vibrer avec leur moindre souffle. On attend donc l’ouvrage suivant pour retrouver ce plaisir.

Benoît Labaye, « Australie », Editions Luce Wilquin. http://www.wilquin.com

 

 

 

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