Les salons du Livre sont morts, que vivent les salons (26/09/2010)
Dans un billet très bien argumenté et joyeusement engagé, Francis Mizio annonce qu'il refuser désormais de se rendre dans les salons pour dédicacer ses livres, quand cette invitation n'est pas liée à l'une ou l'autre activité rémunérée (atelier d'écriture, conférence, lecture...). À ses yeux, le rapport entre auteurs et lecteurs dans un salon n'a pas beaucoup de sens : la dédicace et les quelques mots qu'on échange, les milliers de livres identiques à ceux qu'on trouve en librairie et, comme dans les magasins, tous ces noms d'auteurs que les lecteurs ne connaissent pas (et souvent, pour ne rien arranger, leurs tronches de types pas propres et pas télégéniques). Une foire ne bénéfie ni aux auteurs ni aux lecteurs, tant que le système de vedettariat et de surproduction éditoriale est en place. Voilà le propos violemment résumé. Allez lire l'original, il est plus complexe que ces quelques lignes et plein de jolies initiatives pour changer les choses.
Ces impressions, je les partage presque toutes.
C'est pour cette raison que j'avais tant apprécié, il y a bien longtemps de cela, à la Foire du Livre de Bruxelles, un stand sponsorisé par la Poste, qui proposait aux auteurs de venir, une heure durant, mettre leur plume au service des lecteurs. Pour écrire quoi ? C'était aux lecteurs d'en décider. L'un voulait une déclaration d'amour, l'autre un souvenir d'enfance, une troisième une lettre d'insulte. Le texte était rédigé à chaud, puis, dans la foulée, si le lecteur le souhaitait, transcrit en braille par un aveugle et, toujours en option, envoyé au destinataire éventuel.
J'ai raffolé de cet exercice. Les auteurs n'étaient plus juste des gueules qu'on colle au dos de leurs livres, ils redevenaient des gens qui écrivent et qui aiment ça, qui, face à un problème donné, trouvent volontiers une solution en mots et en phrases, qui ravit les lecteurs et les lectrices.
Bien entendu, l'année suivante le stand n'était plus là. Sans doute s'était-on trop bien amusé ? Sans doute avait-on bousculé les ordres protocolaires habituels ? Sur le stand de La Poste, les lecteurs ne connaissaient pour la plupart pas les auteurs mais ils les rencontraient vraiment et, peut-être, mais on s'en fout un peu, avaient-ils envie de lire ensuite leurs autres textes. C'est possible, mais ce n'était pas le but premier.
Quelques années plus tard, l'équipe des donneurs, menée par Jean-Pierre Girard, a débarqué à Liège, puis à Bruxelles, pour rallier les écrivains à sacause, celle d'écrivains qui offrent leur plume au public. L'esprit était le même, le plaisir aussi. Au Québec, cela dure depuis longtemps et c'est permanent.
Mais tout seul, sans un collectif d'auteur, on ne peut proposer ça sur un seul stand dans un salon quelconque.
Suffit pas de mettre un petit panneau « Ici auteur à votre disposition ».
J'avais aussi beaucoup aimé la lecture performance organisée par l'embryon de Maelström réEvolution en 2007 dans le petit théâtre de la Foire du Livre de Bruxelles, les lectures en musique y suivaient un cours très organique et festif, façon auberge espagnole où les auteurs se confrontent et s'explorent, se succèdent et s'écoutent, dans la grande tradition des Nuits de la Poésie de feu le Cirque Divers à Liège, par exemple.
Du coup, j'ai proposé l'an dernier d'écrire un roman en 24h chrono à la Foire du Livre de Bruxelles. J'ai adoré ça, j'en ai déjà beaucoup parlé sur ce blog, et je ne pense pas que ça a fait vendre des tas de livres dans la foulée, malgré la couverture médiatique exceptionnelle, mais ce n'était pas le but du tout.
La plus grande vertu de cette performance, à mes yeux, c'est d'avoir remis l'écriture au centre du débat, d'avoir montré dans un salon qu'un écrivain est un bête type avec un cahier ou un clavier et que les trucs qu'on lit ensuite, joliment imprimés, coulent d'abord très spontanément comme la cervelle s'écoule d'un crâne fracassé.
J'ai aussi appris à écrire seul mais en équipe. Pour mon projet, j'avais organisé un concours pour avoir des noms de personnages à intégrer dans le texte, puis, durant toute la rédaction, le manuscrit était lisible en ligne en temps réel, à mesure que je le rédigeais. C'était fun. C'était excitant. C'était surtout vivant et j'ai pu parler de ça, très simplement avec beaucoup de visiteurs du salon. Tout d'un coup, nous avions quelque chose de très concret à échanger. Les gens étaient gentils, m'apportaient à boire et à manger, prenaient de mes nouvelles.
Autre chose que trois heures de signature sur un stand perdu parmi 500 autres auteurs à Brive ou à Nancy, par exemple.
Je serai au Québec l'hiver prochain, je compte bien réitérer le coup de l'écriture en direct. Et recommencer ensuite partout où on voudra bien de moi.
Non pas parce que les textes que j'écris ainsi sont bons mais parce que le moment que je vis avec les visiteurs est exceptionnel.
Je m'amuse et chaque minute est unique.
Comme chaque rencontre avec les lecteurs.
Je suis certain qu'en comptant sur les idées des auteurs pour rendre les salons vivants, ces événements auront encore de très belles années à vivre.
En alliant l'écriture en direct, la lecture et la diffusion numérique, on peut même faire rayonner les salons bien plus loin que la grand-place des villes de province et leurs tentes interminables.
PS : pour illustrer cette note, une auto-photo que j'ai prise la nuit dans la Foire du Livre de Bruxelles, vers 3 ou 4h du mat, tandis que je joggais entre les stands vides pour me dégourdir pendant l'écriture de mon roman. Un moment magique, dans la halle vide, avec les pigeons qui volent et les chauffages qui claquent dans le silence.
21:55 | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : nicolas ancion, salon littéraire, salon du livre, performance, lecture, écriture, auteur, littérature | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer
Commentaires
Oui, ça semble en effet une saine et joyeuse et dense expérience personnelle :-) (mais peut-être pas une piste "généralisable", tout comme lire ou écrire ne sont pas des choses "généralisables", chacun apportant qui il est et sa propre direction à l'exercice. je ne dois pas être très claire, mais c'est le soir)
Écrit par : cjeanney | 26/09/2010
Bonjour Christine,
Si, si, justement, c'est très clair et la leçon est juste. Il faudrait voir évoluer les salons standardisés (chaque auteur attend que les lecteurs se présentent spontanément devant sa table et signe avec des formules toutes faites, rêvant en secret d'être à invité à l'un des débats et tables rondes pour augmenter le trafic de lecteurs en direction de sa propre boutique) vers des salons sur mesure, qui changeraient chaque année en fonction des auteurs invités. Certains salons évoluent (concerts dessinés en BD, lectures murmurées à l'oreille en littérature...) et je pense que la tendance doit s'accélérer si on veut que les salons aient un avenir. On ne peut pas juste venir dans un de ces "événements" pour "voir un auteur" en vrai. Tant que c'est juste voir ce n'est guère plus intéressant et plus culturel que de feuilleter les pages trash de "Closer".)
Écrit par : Nicolas Ancion | 27/09/2010
Espérience personnelle, expérience plurielle, rapport humain dont le seul enjeu est de partager un moment d'imaginaire, travail d'écrivain que d'écrire, seul et avec d'autres, alchimie des rencontres, quelle richesse ! Mais oui, c'est une belle façon de re-positionner l'écrivain dans la cité. Loin du bling-bliing et de la critique littéraire, au coeur de la vie, la sienne, celle des autres... Et l'argent dans tout ça ? La poste l'a bien trouvé... @mitiés
Écrit par : Michèle Bayar | 27/09/2010
Oui, Michèle, dans les salons, pas de problème pour financer des intervenants actifs. Les organisateurs n'aiment pas payer les auteurs pour attendre le chaland (faut dire, il y a des tas d'auteurs auto-édités qui sont prêts à payer pour disposer d'une table) mais ils trouvent normal de payer des comédiens qui viennent lire, des journalistes qui posent des question, des clowns qui gonflent des ballons... La Poste avait monté l'événement sur mesure, avec budget conséquent. Quand j'ai écrit mon roman en 24h, j'étais payé et logé. C'était la première fois en plus de 10 ans de foire du livre de Bruxelles :-)
Écrit par : Nicolas Ancion | 27/09/2010
Je serais assez d'accord avec toi sur le fond, on s'ennuie vite à attendre le chaland en salon, surtout quand il ne vient pas - et encore, je ne suis même pas certain que j'apprécierai les heures de queue interminable que se tapent les Schmitt Nothomb Levy et autres ; néanmoins, si tous les auteurs d'un salon se lançaient dans le live/multimedia/performance, bin non seulement ce serait un joyeux bordel, mais en plus, il s'opérerait au bout d'un moment une nouvelle répartition, toujours inégale, et on reviendrait au point de départ. Enfin moi je trouve.
Écrit par : manu | 27/09/2010
Manu, je partage ton avis, d'une sagesse exemplaire ;-) Mais entre les deux, il y a bien du chemin. Aujourd'hui, les salons qui ne renouvellent pas la formule s'épuisent et se cherchent un nouveau souffle. Je ne demande pas à tout le monde de rédiger des poèmes sur un fil de funambule mais de trouver, justement, une manière d'être là qui lui convient. J'aimerais que les auteurs trouvent chacun leur plaisir dans les salons (et pas seulement dans les TGV, les soirées et les repas autour des salons, même si c'est un monde en soi qui est plaisant). Je suis persuadé que ce plaisir est contagieux.
Écrit par : Nicolas Ancion | 27/09/2010
2 réactions à cet article :
- Chez nous (Quadrature), nous considérons la foire du livre de Bruxelles comme une fête. On invite nos auteurs, on les loge, on festoie le samedi soir chez l'une d'entre nous, on se marre sur le stand, on pinaille beaucoup, on invite tous les amis et connaissances à une méga séance (bien arrosée) de signatures le vendredi soir... Et ça plait. (On est heureux de voir la foire commencer, on est aussi heureux de la voir se terminer car on est crevés :---) )... Détail qui a son importance : ceux qui tiennent le stand sont tous bénévoles...
- Il est aussi de "petits" salons où aucune locomotive n'est invitée et où le public qui se présente est le plus souvent curieux et attentif, et ne vient pas pour se faire photographier à côté de Trucmuche ou de Machin.
3 rencontres (parmi d'autres)qui sont dans ce cas (elles sont tous les trois consacrées aux textes courts) : "Rentrée nouvelles", fin août à Forcalquier (Alpes de Haute Provence), "Place aux nouvelles" à Lauzerte, début septembre et "Nouvelles d'automne", les 9 et 10 octobre prochains à "La Clayette (dans le Charolais). Auteurs et éditeurs en redemandent : c'est joyeux, festif et enrichissant pour tout le monde... J'ajoute que, dans ces petits salons, il y a un tri à faire (se méfier comme de la peste des petits salons généralistes qui mêlent allègrement bouquinistes, auteurs auto-édités, vendeurs de bic et de macramé).
Écrit par : Patrick Dupuis | 27/09/2010
@ Patrick : les fêtes et retrouvailles autour des salons, c'est la principale raison de leur succès auprès des auteurs aujourd'hui. J'imagine bien que chez Quadrature on sait faire festoyer comme il se doit :-) Pour les 3 salons cités, c'est difficile d'y atterrir comme auteur quand on publie des nouvelles chez des éditeurs dont ce n'est pas la spécialité. Je suis un nouvelliste perdu hors du ghetto, ça a des avantages parfois mais des inconvénients aussi. Je ne fais pas partie du petit monde de la nouvelle car je ne dispose pas des relais humains qu'il faudrait pour ça. Allez, promis, l'année prochaine je me planque dans le coffre des Ateliers du Gué quand ils passent par Carcassonne en quittant Villelongue et je viens enfin à Lauzerte ;-)
Écrit par : Nicolas Ancion | 27/09/2010
@Patrick, alors je ne pourrai pas vendre mes bics ? (zut, j'ai un stock à écouler maintenant) :-)
Écrit par : cjeanney | 27/09/2010
Merci Nicolas. J'ai relayé ton article également sur Facebook, avec ce message : "L'écrivain Nicolas Ancion rebondit sur son blog sur mon article sur les foires à dédicaces. Une approche personnelle de "remettre l'écriture" et le contact avec les lecteurs au centre des rencontres, que j'approuve totalement."
Bien à toi
FM
Écrit par : Francis MIzio | 27/09/2010
En tant que lecteur, ma visite annuelle à la Foire du Livre de Bruxelles est un pur moment de bonheur. J'aime l'ambiance qui y règne, tout simplement. Donc, c'est vrai que ton article m'a surpris...car je croyais que vous attendiez tous ce moment avec autant d'impatience que moi. Même pour un petit auteur peu connu n'ayant que quelques proches comme visiteurs, je suppose que cela doit quand même être une forme de consécration ou de reconnaissance de se retrouver à quelques mètres du stand d'Amélie Nothomb ou...de Nicolas Ancion. Personnellement, je ne vais parler à un auteur que si j'ai déjà lu un de ses livres ou si je connais un peu son parcours afin de savoir tenir une conversation.
Ton article m'a surpris mais ma deuxième réaction : quel dynamisme il a ce Nicolas! Visites dans les classes, blog, Facebook, écriture d'un roman en 24h, etc : tu es un excellent communicateur et tu fais vivre tes livres et ton travail. On ressent dans ton article toute ton envie de sortir l'écrivain de son bureau clos. Mais à part Vincent Engel qui a également un bon sens de la communication, je ne vois pas un autre auteur belge (je ne connais pas assez les étrangers) qui a une telle envie. Beaucoup travaillent encore "à l'ancienne". Mais je pense que c'est un bon débat que tu lances et j'espère que certaines de tes idées seront réalisées. A bientôt Nicolas.
Écrit par : Un petit Belge | 27/09/2010
@ Francis : merci beaucoup :)
@ Un petit Belge : tu n'as pas tort de parler de travail "à l'ancienne" car je crois qu'il y a de l'avenir pour ceux qui tentent d'aider les textes à sortir des livres et lieux consacrés pour aller à rencontre des lecteurs. Amusant de voir que tu me trouves dynamique, je me considère plutôt (et à raison) comme un paresseux, hyperactif par moments, mais peu productif. Comme quoi, on ne renvoie pas nécessairement l'image qu'on perçoit ;-)
Tu me fais comprendre aussi un détail important : la différence entre les auteurs professionnels, qui n'ont pas d'autre source de revenus que leur écriture, et ceux qui publient à côté d'autres activités lucratives. Pour la 2e catégorie, les salons du livre ne posent guère de problème, ils sont une forme de loisir (faut juste demander des congés au boulot). Pour les pros, il s'agit d'évaluer la dépense en temps et en énergie pour soupeser si cela vaut la peine de se déplacer ou s'il vaut mieux écrire, tout simplement.
Écrit par : Nicolas Ancion | 28/09/2010
Bonjour,
Je partage aussi votre avis et celui de Francis, puisque nous travaillons notamment avec lui pr la création d'une manifestation littéraire en 2012 qui soit tout sauf un salon du livre! Nous essayons aussi de le faire lors de nos traditionnelles Nuit de la Nouvelle : nouvelles des auteurs invités théâtralisées/lues, dictée proposée par des auteurs au public, contraintes littéraires proposées par le public aux auteurs etc, discussions, repas pris avec le public etc. Le tout est de trouver le juste milieu et que chaque auteur s'y retrouve même si ce n'est pas un as de la prise de parole. Pour autant j'ai l'impression que certaines collectivités recherchent plus le nombre de personnes qui viennent au salon qu'autre chose. Il faudrait étudier les chiffres de vente lors de ces manifestations.
Écrit par : Aline Baudu | 28/09/2010
Bonjour,
J'ai été quelques fois à la Foire du Livre en tant que lectrice (j'ai eu l'impression d'être dans une librairie géante) et à une occasion en tant qu'auteure inconnue (pauvre de moi face à toutes les célébrités).
Je n'étais pas au courant du stand de la Poste, et je trouve l'idée extra !
J'ai effectivement vu que vous aviez écrit un livre en direct, mais je désire commencer par Ecrivain cherche place concierge, ne me demandez pas pourquoi, je l'ignore. ;-)
Je partage votre avis : le partage, le dialogue avec les lecteurs est tellement enrichissant !
Actuellement, sur mon blog, je fais participer les lecteurs à mon écriture, en temps presque réel... c'est un vrai bonheur et eux sont heureux que leur "petit mot" figure dans mon récit.
Amicalement,
Olivia Billington
Écrit par : Livvy | 01/10/2010
Je trouve cette idée de partage excellente, mais tous les auteurs sont-ils à même d'écrire une histoire en live sur quelques heures ? J'en vois assez mal certains qui ne s'abaisseraient pas à cette performance, me semble t-il ? Certains se trébucheraient sur leur égo s'ils devaient faire le pitre avec vous autour du stand de poste !
PS :merci pour votre passage sur mon blog.
Écrit par : Cricri S. | 06/10/2010