Le lecteur est-il propriétaire du texte qu'il lit ? (27/02/2011)
Amis lecteurs, que vous soyez fidèles de ce blog ou simplement de passage, vous ne suivez pas nécessairement les débats, parfois complexes, qui se tiennent autour de l'avenir de l'édition, à l'ère de la révolution numérique. Et je vous comprends, ils ne sont pas toujours passionnants, la discussion prend trop souvent la tournure d'une querelle entre Anciens et Modernes, défenseurs de l'odeur du papier contre amateurs d'innovations technologiques.
(Je signale aux premiers que les ordinateurs aussi ont une odeur et un bruit de ventilateur dont nous serons nostalgiques dans vingt ans et aux seconds que les poubelles sont remplies de gadgets qui devaient révolutionner notre vie quotidienne. Mais cette querelle stéril n'est pas l'obejt de ce billet. Je m'égare)
Une question essentielle qui surgit, pour savoir vers quel modèle économique l'édition numérique doit s'orienter est de savoir si le lecteur se sent propriétaire du texte qu'il veut lire.
Quelle question étrange, me répondrez-vous ! Pas tant que ça, quand on l'explique en détail.
En effet, on oppose en ce moment le mode de consommation du cinéma, où l'on regarde un film sans nécessairement le posséder (par exemple quand on va le voir en salle, quand on le regarde à la télévision ou quand on le loue au vidéoclub) et la consommation de musique, où les fans purs et durs veulent « acheter un disque », pour parler en termes prénumériques, c'est-à-dire aujourd'hui acheter (ou télécharger gratuitement) un fichier permanent qu'ils pourront copier d'un ordinateur à un baladeur mp3 et ainsi de suite.
En cinéma, le modèle de commercialisation numérique qui semble avoir le vent en poupe aujourd'hui, c'est Netflix, un service où pour 7$ par mois, vous pouvez regarder autant de films que vous le souhaitez, en streaming, sur votre ordinateur, en toute légalité. Vous ne possédez pas le film, vous n'en gardez pas de copie sur votre disque dur, vous payez juste pour le droit de le regarder (comme quand vous regardez un petit film sur Youtube – tiens, celui-ci, au hasard ;-) Amazon propose le même type de service, où l'on paie à la "location", pour le moment. Le forfait devrait suivre.
En musique, en revanche, le modèle le plus répandu est celui d'iTunes (je ne mets pas de lien : Apple fait bien trop de pub dans le monde entier pour que je leur fasse ce plaisir) où l'on paie pour acheter un fichier numérique, que l'on peut ensuite plus ou moins copier selon les droits acquis et les vendeurs qui les cèdent. D'autres modèles existent aussi, comme Spotify, qui offre le service de base gratuitement et légalement (on peut écouter en ligne mais pas copier; quand on paie l'abonnement, on peut avoir accès à tout moment aux morceaux qu'on a téléchargés) ou LastFm, qui, pour un abonnement mensuel (3$ au Canada, je pense) donne accès à tout un catalogue, à des radios et des playlists.
Et la littérature dans tout ça ? Très bonne question, cela fait plaisir de voir que vous suvez, merci de m'aider à garder le fil de ce billet.
Les éditosaures, ces éditeurs papier qui ont peur du numérique - et redoutent tant de s'y aventurer qu'ils ne regardent même pas ce qui s'y fait en ce moment - ne pensent qu'au vieux modèle de la chaîne du livre. Ils se demandent comment l'appliquer au monde numérique. Ils veulent alors vendre les livres à la pièce, à un prix prohibitif (80% du prix du livre papier), via des librairies en ligne et hurlent au scandale quand Apple ponctionne 30% sur les ventes de livre, alors que ces mêmes éditeurs cèdent au moins 35% à la Fnac, à Cultura et aux grosses librairies, quand ce n'est pas beaucoup plus.
Ils viennent même de convaincre le système législatif français à mettre en place un prix unique du livre numérique aberrant, qui oblige tous les acteurs français du marché (donc pas Apple, Amazon et Google) à vendre le livre numérique au même prix, fixé par l'éditeur. Une manière pour eux d'empêcher le marché d'évoluer et sassurer ainsi que pendant quelques années ils peuvent conserver leur quasi monopole sur l'édition-distribution dans l'Hexagone. (Une stratégie d'autrcuhe qui les perdra, mais ce n'est pas l'objet de ce billet.)
Certains éditeurs purement numériques, comme publienet sont déjà passés à la formule abonnement, où tout le catalogue est accessible à volonté pour un forfait annuel. Smartlibris propose également un service similaire pour 9,9 EUR par mois, mais comme il est dédeloppé pour l'iPad en rpiorité, son succès risque d'être limité (le parc d'iPad francophones n'est pas encore très étendu et tous les propriétaires ne sont pas des lecteurs, bien entendu). Amazon prépare très certainement le même genre de forfait pour son lecteur maison (le Kindle) bientôt et il n'est pas impensable que des acteurs historiques comme France Loisirs, Harlequin, ou des aventuriers plus récents comme les éditions Bragelonne, proposent à leur tour une formule du même type. On lit à volonté, on n'achète pas le livre mais le droit de lire, sur son ordi, son téléphone portable, sa liseuse, peu importe. Dans le cas de publienet, on reçoit tout de même le fichier, on peut le copier, l'imprimer...
La question importante arrive alors. Le lecteur veut-il être simple locataire du texte, comme le spectateur d'un concert ou d'un film, l'usager d'une bibliothèque publique, ou propriétaire, comme le collectionneur de DVD, l'acheteur de musique sur iTunes ou le bibliophile ?
À mes yeux, l'auteur est toujours propriétaire du texte qu'il a produit au départ (c'est le fondement du droit d'auteur iamginé par Beaumarchais) mais le lecteur ne sera jamais un simple locataire, bien au contraire.
C'est lui qui héberge le texte dans sa tête, qui transforme les mots (ces petits machins morts qui n'en ont pas l'R) en images, en sensations. Il ne loue pas plus les textes qu'il ne loue ses vacances : il les vit, tout simplement. Et les souvenirs de cette vie-là, celle de la fiction, personne ne pourra les lui enlever.
Bien heureusement, d'ailleurs.
La littérature n'est pas un objet, c'est un mouvement, c'est une expérience qui se sent, s'éprouve et se comprend, simultanément, dans un étrange mélange, quel que soit le support.
Numérique ou papier.
Vieux livre de poche tout puant ou bel écran rétroéclairé, texte lu à travers la radio crachotante ou fraîchement imrpimés sur papier bouffant.
Une fois franchie la frontière de la fiction, on entre de plein pied dans un univers all-inclusive qui n'appartient qu'aux leceteurs, où chacun se fabrique son film, ses photos et ses amours de vacances.
PS : En illustration, un panneau d'affichage en tête de rayon vu dans une librairie anglophone hier à Montréal.
MISE A JOUR : le début de conversation avec Franck Queyraud dans les commentaires ci-dessous a donné naissance à un billet très intéressant sur le rôle des bibliothèques dans ce futur environnement numérique. À lire dans la foulée.
00:48 | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, édition numérique, netflix, amazon, apple, livre numérique, éditosaures | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer
Commentaires
Bonjour,
Le système de location ne me pose pas de problème.
C'est une des solutions à l'âge de l'abondance pour accéder à des œuvres, des contenus sans l’inconvénient de l’encombrement physique de l’objet qui va envahir nos bibliothèques personnelles, toujours trop petites...
Il me semble toutefois qu'il faut se méfier de la concentration de tous les contenus chez des éditeurs en ligne, dans le cloud comme il est de mode aujourd'hui.
Le principe est séduisant.
Le danger est de voir s'effectuer une sélection de ce qui va être proposé.
Qui va garantir que l'on pourra trouver un petit livre qui ne plait pas à la doxa officielle, qui peut garantir que l'on pourra visionner un film non consensuel. Selon l'idéologie du monsieur qui dirigera la société de contenus, il pourra sélectionner et faire disparaître des contenus non conformes. C’est déjà arrivé avec Amazon (qui avait supprimé des Kindle, le 1984 d’Orwell)
On est là devant le risque d’une dérive totalitaire...
Par contre, il faut absolument qu'il y ait des endroits qui ne fonctionnent pas uniquement sur la règle du profit et du plus grand nombre. Ces endroits portent un nom depuis plusieurs millénaires : les bibliothèques accessibles.
Il me semble important que les bibliothèques soient un des acteurs essentiels pour de la diffusion de contenus garantissant la diversité culturelle. Alain Resnais avait appelé un de ses premiers films : La mémoire du monde, reportage sur la BNF. Les bibliothèques diffusent, prêtent, mettent en valeur mais aussi conservent la mémoire du monde, mémoire qui ne plait pas forcément au prince.
Va-t-on demander à Netfix, Amazon, Google ou Apple de garder la mémoire du monde ? Aujourd’hui, ils ont des discours apaisants mais demain ?
En plein développement d'une solution de livres numériques pour ma toute petite bibliothèque, je me pose cette question. Les abonnements, c'est bien (encore qu'il n'est pas facile d'avoir un accès unique - chaque éditeur proposant son accès) mais à terme, qu'en est-il ?
Je ne suis pas certain que le concept de collection d'une bibliothèque soit ringard à l'heure du cloud, d’internet et des réseaux. Bien au contraire...
Les bibliothèques ne doivent-elles pas acquérir des réservoirs (des serveurs) pour pouvoir maitriser leurs collections numériques !
Voilà pour moi l'aspect négatif de l'accès par cloud. Sur le court terme, pratique ! Mais sur le long terme ? Dangereux pour les libertés publiques… L’âge de l’abondance et de l’accès risque fort de se transformer en un unique chemin balisé…
Bonne journée
Franck Queyraud
Bibliothécaire
Écrit par : franck queyraud (mémoire de Silence) | 27/02/2011
Un immense merci, Franck, pour ce long commentaire, d'une pertinence parfaite.
Je vous rejoins parfaitement et cet avenir pour les bibliothèques me réjouit.
Je sens qu'une transformation du métier de bibliothécaire est à l'oeuvre et que, si mes observations sont correctes, les professionnels de ce secteur sont bien moins effrayés par l'avenir que les éditeurs et les libraires, notamment grâce au fait que les bibliothèques publiques tirent leurs financements non de la vente des livres mais en échange du service qu'elles offrent.
Du coup, j'ai l'impression que la bibliothèque numérique de demain - telle que vous la concevez et telle que bien des lecteurs numériques la rêvent - est aussi la librairie idéale.
Dans votre projet, vous rassemblez toute la chaîne du livre (sauf l'auteur et l'éditeur) : à la fois distributeur, diffuseur, référenceur et "libraire", le bibliothécaire numérique est un propulseur de premier choix pour les textes et les contenus.
C'est un passeur et un gardien.
C'est réjouissant.
Je passerai encore de très bons moments en bibliothèque, comme j'ai la chance de le faire depuis plus de trente ans ;-)
Écrit par : Nicolas Ancion | 27/02/2011
Bonjour Nicolas,
Votre stimulant billet, en fait, a provoqué un billet plus long que mon commentaire initial sur des choses que je voulais écrire depuis longtemps.
Je n'oublie pas l'auteur et l'éditeur dans ma vision : si il n'y pas d'auteur il n'y a pas de bibliothécaires ! Mais je retiens la remarque. Quant aux éditeurs, je pense qu'ils sont encore nécessaires : comme découvreur, stimulateur... Un auteur ne peut pas être le juge unique de son oeuvre... Il faut un retour...
Voici donc mon billet complémentaire :
http://memoire2silence.wordpress.com/2011/02/27/du-tag-et-du-fouillis-les-dangers-du-cloud-computing-et-tant-pis-si-je-passe-pour-un-ringard/
Au plaisir de vous lire
Franck Queyraud
Écrit par : frank queyraud | 27/02/2011
Merci pour cet exposé net et précis. On me propose d'éditer un de mes romans par voie numérique et j'ai trouvé sur votre blog, deux articles "éclairants".
Écrit par : christine machureau | 14/03/2011
Bonjour Christine,
Je suis ravi si les billets de ce blog peuvent être utiles de temps à autre.
Bonne chance pour votre publication et longue route avec l'écriture, quoi qu'il arrive !
Écrit par : Nicolas Ancion | 14/03/2011
Bonjour Nicolas, une chronique pleine de bon sens. je voulais vous rassurer quant à Smartlibris. Il n'est pas réduit à l'iPad. Smartlibris est destiné à être accessible depuis n'importe quelle tablette tactile. Il se trouve que l'iPad est la plus achevée et nous avons donc commencé par elle. Nous travaillons sur les autres tablettes, c'est-à-dire Windows 7 et Android. A priori sous Windows 7 pas de problème dans la mesure où le browser est connu. Pour Android, c'est plus compliqué car chaque constructeur y va de son browser et nous devons en particulier veiller à la façon dont ces browsers digèrent les CSS etc... (le cauchemar des designers qui doivent toujours vérifier IE, Safari, Firefox, Opera et maintenant Android!). Enfin, le service est accessible par ordinateur. Tout ceci s'inscrit dans la tradition qui nous anime depuis 10 ans et qui a donné naissance à des services comme www.bibliovox.com , www.scholarvox.com , htt://uag.cyberlibris.com etc...) Quant à la crainte exprimée par l'un de vos lecteurs, c'est une crainte légitime et récurrente. Hélas, il y a dans ce monde bien d'autres endroits où il est urgent hic et nunc de combattre censure et manipulation. C'est la meilleure garantie qu'elles n'en provoquent pas d'autres!
Écrit par : Eric | 06/04/2011
Sur la page dédiée du site web d'Apple, nulle mention d'une utilisation en milieu scolaire. Déjà loin est l'époque où la compagnie proposait PowerSchool, un superbe environnement numérique (ENT). Néanmoins, iCloud est vraiment tout à fait adapté au milieu éducatif. Je vous propose de détailler ici comment je l'utilise dans le cadre de la i.Classe 204.
Écrit par : Gestion de temps | 04/03/2013