02/08/2005
Un feu follet qui brille dans la nuit
Willem Elsschot, Le feu follet
On ne peut que saluer l’initiative du Castor Astral pour rendre accessibles en français les classiques de la littérature flamande. Des livres écrits au nord de la Belgique qui, malgré le succès critique ou public qu’ils avaient rencontré en Flandre, n’étaient pas accessibles au public francophone, de Belgique comme de France. Soulignons aussi que la ligne éditoriale de la collection ne se contente pas de publier un bouquin par auteur, le plus connu ou le plus réputé, par exemple ; elle suit véritablement le fil de l’œuvre de plusieurs écrivains : Jef Geerarts, Benno Barnard ou… Willem Elsschot, dont elle traduit le troisième roman en l’espace de deux ans ! Après Fromage et Villa des roses, voici Le Feu Follet, un court roman qui marque moins par sa longueur que par l’épaisseur de l’ambiance qui s’en dégage.
Nous sommes en 1930, dans le port d’Anvers, le narrateur, un père de famille dont on ne sait à peu près rien sinon qu’il a décidé de se « ranger » (mais se ranger de quel vice ? se priver de quelles extravagances ? nous n’en saurons jamais rien) dès le lendemain matin de cette nuit étrange où son chemin croise celle de trois marins descendus à terre retrouver une jeune flamande qui a réparé un filet à bord de leur navire, le Delhi Castle. Ils arrivent droit des Indes, parlent anglais et exhibent fièrement une sorte de boîte à cigares, à l’intérieur de laquelle est écrite l’adresse de la jeune fille. Nous sommes en novembre, il fait froid, il fait nuit, un crachin maussade couvre la ville, le narrateur devrait rentrer chez lui et pourtant il va accompagner ces trois hommes à la recherche de Maria Van Dam. Trouver une fille facile dans le port d’Anvers n’est pas chose compliquée, mais retrouver la jeune fille qu’on cherche est une autre entreprise. Les quatre hommes vont ainsi traverser la nuit et la ville sur la piste soigneusement brouillée d’une ravaudeuse de filets.
Elsschot a rassemblé tous les ingrédients pour tisser une ambiance aussi sordide qu’humide : rues sombres, temps de chien, racisme sournois, regards inquiets des étrangers sans repères dans la ville et, surtout, quête impossible de la femme désirée, qui se dérobe avant même d’être approchée. Le quatrième de couverture parle de chef d’œuvre de la littérature du XXe siècle, c’est peut-être un peu forcer l’éloge, mais ce condensé de roman a la densité des grands textes, il est bourré d’interrogations qui poursuivent leur travail dans l’imagination du lecteur et d’images fortes qui sculptent son imaginaire pour longtemps. C’est un tout petit bouquin, qui se lit en une bonne heure à peine, mais résonne très longtemps, comme une chanson de marin, qui trotte en tête bien après qu’on ait quitté le port.
Willem Elsschot, Le feu follet, Le castor Astral, collection « Escales du Nord – Bibliothèque flamande », 92 pp.
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