02/02/2009
Je ne suis pas d'accord avec Beigbeder
Allez, rien qu'à lire le titre, vous allez me dire : « Mais on s'en doutait bien, Nico, tu n'es jamais d'accord avec personne. » Et vous aurez bien raison.
N'empêche, dans sa chronique mensuelle dans « Lire », l'ex-publicitaire, ex-présentateur télé, ex-directeur de collection, ex-auteur de best-sellers enrage contre Didier Jacobs du Nouvel Obs, parce que ce dernier a étalé au grand jour les foirages du petit milieu éditorial parisien, dans une chronique où il donnait les chiffres, non seulement des ventes des grosses locomotives littéraires de la dernière rentrée, mais aussi des avances que les auteurs avaient touchées.
Frédéric Beigbeder s'est senti visé et, lui qui a toujours argué qu'il vendait beaucoup pour rejeter les critiques qui disaient du mal de ses bouquins, se fait soudain le chantre de l'art pour l'art et reproche à Jacobs de parler argent là où on ne devrait discuter que de qualité littéraire, de personnges, de thématique et de style. Soit. On peut dire les âneries qu'on veut quand on se sent blessé, c'est le droit de chacun, En état de légitime défense on peut même taper sous la ceinture, ce n'est pas grave.
On peut se montrer con et peu argumenté, c'est un droit inaliénable et les lecteurs pardonneront toujours aux plumes emportées.
Mais on ne peut tout de même pas écrire n'importe quoi.
Je citerai intégralement le passage qui me fait bondir :
Personnellement je me suis toujours réjoui que des éditeurs soient prêts à donner des centaines de milliers d'euros à des auteurs non rentables, considérant que cet argent était toujours plus à sa place dans la poche d'un artiste oisif que dans celle d'un banquier véreux.
Oh, que l'argument paraît juste ! C'est bien mieux de donner de l'argent à des auteurs qu'à des banquiers... qui voudrait s'opposer à ça ? Personne, bien sûr..
Eh bien, si.
Je suis outré.
Parce que ce sont précisément ces avances colossales qui nécessitent des campagnes marketing nuisibles à la création littéraire (pour rembourser les sommes payés à Millet, Angot, Houellebecq, Beigbeder... il faut mettre le paquet pour assurer les ventes, donc occuper l'espace médiatique, donc occuper les tables des libraires, donc préoccuper la critique avec des débats stupides...).
Parce que ces sommes sont prélevées sur le budget des maisons d'édition, par sur celui des banques et que, du coup, les autres auteurs de la maison continuent, eux, à être payés au prorata des ventes, non pas en fonction de leur travail réel.
Parce que les auteurs, dans leur infinie majorité sont traités comme des moins que rien dans le monde du livre (savez-vous que l'éditeur, l'imprimeur, le metteur en page, le chauffeur de camion qui livre les bouquins, l'attachée de presse, le libraire, l'emballeur chez le distributeur et la secrétaire de l'éditeur, tous, absolument tous sont payés en fin de mois grâce à leur travail ?) Il n'y a que l'auteur qui sera payé, si tout va bien, dix-huit mois après les ventes, en fonction de ce qui aura été réellement écoulé de ses livres.
J'ai la chance de toucher des avances sur droit. Elles sont dérisoires mais raisonnables. Elle sont calculées par les éditeurs en fonction des ventes qu'ils attendent, avec tous les paramètres réglés pour envisager le pire des cas (aucune traduction n'est vendue, le livre ne marche pas bien, la presse n'en parle pas). Ces avances, seules, ne me permettent pas de couvrir le temps de travail d'écriture du livre (je ne parle pas, dès lors, du travail de promotion qui l'accompagne). Soyons transparents, je touche entre 2000 et 6000 euros par livre que j'écris. Il me faut entre trois mois et deux ans d'écriture pour écrire un livre ! Faites le calcul...
Si j'avais le double en avance, je pourrais ne plus me tracasser. Je ne serais pas riche mais je ne devrais pas courir sans cesse pour trouver un truc mieux payé que l'écriture de fiction.
Par exemple, je suis mieux payé pour traduire le roman d'un autre que pour écrire un texte original.
On n'est jamais payé correctement comme écrivain...
Pourquoi ?
Parce que les auteurs ne sont pas regroupés, qu'il ne sont ni syndiqués ni revendicatifs, parce que ceux qui touchent de l'argent en réclament toujours plus, y-compris avec des arguments aussi stupides que celui que FB a avancé dans sa chronique.
Pfff.
On n'est pas sorti de l'auberge.
Ceci dit, je ne me plains pas. Je ne fais plus qu'écrire, je n'ai plus d'autre métier à côté, j'ai constamment trois bouquins en cours et autant qui attendent d'être imprimé.
Ça bouillonne, ça pétille et ça marche. Petit à petit, de nouveaux lecteurs sont conquis.
Mais si je m'en sors aujourd'hui, ce n'est certainement pas grâce à l'argent dilapidé par les maisons d'édition lors de la dernière rentrée, c'est un fait!
PS : la photo, c'est FB, elle vient du site de l'excellent hebdo Voir à Montreal
20:41 Publié dans Notes de lecture | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : beigbeder, didier jacob, avance sur droits, rentrée littéraire, houellebecq, angot, millet | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer