27/10/2008
Préparer un pain sans machine
S'il y a bien une question que je ne me pose pas, c'est pourquoi j'aime tant pétrir le pain à la main. Ne pas se la poser, c'est déjà y répondre car ce qui ne pose pas question s'impose et impose le silence. Tout cela relève de l'évidence, la farine entre les doigts, l'odeur de levure, la pâte qui colle aux ongles, tous ces plaisirs sans paroles et sans mots reposent l'esprit.
Je pétris en silence, je pétris en radio. Je pétris tandis que le vent souffle dehors (ça arrive souvent par ici), je pétris tandis que tombe la pluie ou que le soleil déclinant teinte la cuisine d'or.
Je n'exagère même pas.
Suffit de fourrer les mains dans le pétrin pour que le monde s'illumine.
Il fut un temps où nous habitions Madrid et trouvions le pain espagnol insipide. Les baguettes sans goût et sans texture ne parvenaient pas à combler le manque laissé par les innombrables variétés de pain en tranche qu'on trouve en Belgique, chez n'importe quel boulanger. Importer du pain frais par la poste était aussi idiot qu'exporter la luminosité du ciel madrilène par email, on s'est vite rabattu sur une machine à pain électrique. Rien à faire, on balance les ingrédients dans la machine, on va se coucher et on s'éveille dans l'odeur de pain cramé. Le résultat était pitoyable : la première brique avait la texture et la couleur du béton cellulaire, les suivantes n'étaient guère plus réussies. Impossible de trouver la bonne levure, le bon mélange, sans même aborder la question du trou central que la pale rotative laisse dans la brique et qui amoche la moitié des tranches.
De retour à Liège, durant quatre ans, nous sommes revenus au vrai pain de boulangerie, la machine à pain a traîné dans la cave pendant tout ce temps, je l'ai finalement vendue à un vide-grenier il y a trois semaines. Car depuis notre installation au pays de la baguette, le pain de mie nous manque à nouveau mais je me suis mis, vous l'aurez compris, à la confection manuelle. Pas de grand exploit. J'achète la farine aux céréales et la levure de boulangerie chez Casino, je prends l'eau tiède au robinet et je mélange avec une cuiller en bois avant d'attaquer avec mes mains.
Je prends le temps de laisser monter et je recommence.
Tout ça ressemble à l'écriture. C'est juste une question de patience. Laisser gonfler sans précipitation puis de reprendre le pétrissage.
Quand on est content du résultat, on glisse dans le four et on attend.
Jamais d'urgence.
La précipitation ne mène à rien de bon.
Dans les recettes de pain, on attend surtout que le temps passe.
C'est passionnant et c'est beau. Je crois que j'aime beaucoup ça.
18:32 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : pain, littérature, poésie, crise, nicolas ancion, temps, cuisine | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer