09/01/2007
Pourquoi il faut lire Pierre
On ne sort jamais indemne d’un grand livre. La dernière page tournée, on continue à flotter entre deux eaux, le corps ankylosé, l’esprit vagabond, la pensée errant dans les terres indéfinies qui séparent la fiction, d’où l’on sort avec peine, du monde rée,l où l’on n’a aucune envie de rentrer. Un grand livre, ça peut être un roman, ça peut être un essai, ça peut aussi être une bande dessinée. Comme celle que nous proposent Olivier Ka et Alfred, par exemple, sous le titre étonnant de «Pourquoi j’ai tué Pierre». Ce sont les éditions Delcourt qui ont publié à l’automne ce livre d’une profondeur étonnante. On est ravi de le savoir sélectionné pour le Grand Prix d’Angoulême. Et on espère qu’il continuera à rencontrer demain le plus de lecteurs possible, car, il faut bien l’avouer, cet album est un véritable chef d’œuvre, qui laisse le lecteur sans voix.
Comment, en effet, en parler sans dévoiler l’essence même du livre, à savoir cette formidable narration qui prend le lecteur par la main pour le mener des replis confortables de l’enfance insouciante vers les tréfonds de la culpabilité et de la salissure ? Olivier est un gamin comme il y en a tant, au cœur des années septante. Son père fait de la BD au mensuel Hara-Kiri, sa mère écrit des romans pour la jeunesse. Leur maison, à la campagne pas très loin de Paris, accueille tous les amis de passage et, parmi ceux-ci, un certain Pierre, curé de gauche, rondouillard et jovial, barbu, hirsute, pareil à Barbouille le Barbapapa poilu. C’est lui qui emmènera le petit Olivier en colonie de vacances. Lui, l’adulte en qui le gamin a toute confiance, l’ami des parents, le copain sympa qui se confie et qui témoigne envers le gamin une amitié sans borne. Une amitié ou autre chose ? C’est bien là que se situe la limite floue et trouble entre sympathie débordante et… abus de confiance. Il n’y aura pas que des confidences entre l’adulte et le garçon, il y aura aussi des attouchements : des gestes sales, qui blessent au plus profond. Et que Pierre cherchera à dissimuler sous le sceau du secret.
Il faudra des années à Olivier, devenu romancier et scénariste, pour qu’il imagine de mettre des mots sur cette histoire, pour qu’il prenne cette matière intime et la transforme en récit dessiné. Et le résultat est époustouflant.
Rarement la bande dessinée atteint-elle une telle perfection de forme et de fonds, les images répondant de manière troublante aux événements racontés. Le dessin d’abord joyeux et naïf se brouille par moment, les cases se décomposent ; le dessinateur à certains moments laisse simplement parler la photo, les images caméra, pour montrer les lieux tels qu’ils sont aujourd’hui, avant de réinterpréter dans une tempête graphique, les paysages de campagne torturés par les reliefs des paysages intérieurs du narrateur. Il fallait un talent fou pour réussir un projet aussi risqué que celui-là. Olivier Ka et Alfred n’en ont pas manqué, au contraire : ils ont tout misé sur la transparence parfaite, la plus simple autobiographie, soulignée par la mise en scène des auteurs eux-mêmes, en route pour enquêter sur leur sujet dans la campagne française. Au-delà de la culpabilité, de la responsabilité des adultes vis-à-vis des enfants, cet album magistral traite aussi du temps qui passe : du passage à l’âge adulte puis à la vieillesse et des poids morts que l’on ne peut lâcher au franchir des étapes.
Le sujet est dur. On sent que le pire va arriver. On le redoute. On le voit venir. On en est témoin. On voudrait que ça ne se passe pas. On en veut à Pierre. On en veut au monde. A cause de cette grosse pierre qu’on a dans la gorge. On lit avec appréhension mais on ne peut pas s’empêcher de tourner les pages. Puis on est envahi par l’émotion, comme un ruisseau qui déborde après l’orage. C’est beau. C’est terriblement beau. Parce que c’est plus qu’une bonne BD, c’est carrément un chef d’œuvre.
Olivier Ka et Alfred, «Pourquoi j’ai tué Pierre», Delcourt, collection Mirages.
17:13 Publié dans Notes de lecture | Lien permanent | Commentaires (3) | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer
Commentaires
Meilleurs voeux pour l'année 2007. Je vous invite à venir commenter les premiers messages du tout nouveau blog http://journalpetitbelge.blogspot.com
Écrit par : Un petit Belge | 14/01/2007
Cher ami Ancion,
Tu ne m'as pas donné de nouvelles. Je t'en donne. J'avais lu avec plaisir le livre du Fram. Je suis heureux que tu fasses la "une" du Carnet.
Bravo pour ton blog
Je t'embrasse. Philippe
Écrit par : Philippe Leuckx | 22/02/2007
Cher ami Ancion,
Tu ne m'as pas donné de nouvelles. Je t'en donne. J'avais lu avec plaisir le livre du Fram. Je suis heureux que tu fasses la "une" du Carnet.
Bravo pour ton blog
Je t'embrasse. Philippe
Écrit par : Philippe Leuckx | 22/02/2007
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