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24/05/2010

Comment remporter le Prix Hemingway ?

Je vous rassure tout de suite, je ne connais pas la réponse à cette jolie question. La meilleure preuve, c'est que je participe depuis 3 ans à ce concours de nouvelles prestigieux, qui reste, à ma connaissance, le mieux doté de Francophonie (4000 EUR et un abonnement aux arènes de Nîmes pour le lauréat, tout ça pour une seule nouvelle, c'est inégalé, je pense).

 

Mais j'ai eu le plaisir de constater cette année que j'approchais du but, en découvrant le communiqué qui annonçait l'attribution du prix à Jean-Paul Didierlaurent :

COMMUNIQUE
des Avocats du Diable,
organisateurs du Prix

 
Jean-Paul DIDIERLAURENT
remporte le PRIX HEMINGWAY 2010

 
 
Vendredi soir, dans la cour d’honneur de la bodega Alegria, Laure ADLER, présidente du jury, a annoncé le nom du lauréat du Prix international HEMINGWAY 2010. Cette année, c’est Jean-Paul DIDIERLAURENT, pour sa nouvelle intitulée Brume, qui a le privilège d‘inscrire son nom au palmarès déjà prestigieux de ce prix qui récompense depuis 2005 la meilleure nouvelle à thématique tauromachique.
 
Devant plus de 450 personnes, la présidente a confié que les délibérations du jury avaient nécessité trois tours de scrutin avant d’élire la nouvelle lauréate parmi les 20 finalistes (sur 87 nouvelles reçues cette année).
 
En finale, Brume, qui raconte l‘histoire d’un ancien puntillero qui, reclus dans une maison de retraite, n‘a rien perdu de ses réflexes taurins. La nuit, il déambule dans la couloirs  et  coupe avec application le fil qui relie les autres pensionnaires à la vie lorsqu‘il juge que ces derniers ont accompli leur destin et qu ‘ils ont enfin «mérité l‘estocade »…
 
Véritable réflexion sur la vie – donc sur la mort -,  sur le temps qui passe, l’héritage à laisser à ceux qui restent, et sur la façon de se comporter en torero en dehors de l‘arène, Brume s‘est retrouvée en finale face à Zebumachie et vieux fauteuils en cuir,  rédigée par Nicolas Ancion.
 
Duel au sommet entre deux habitués du Prix Hemingway, puisque les deux auteurs ont été plusieurs fois finalistes au cours des éditions précédentes… Inutile de dire à quel point il fut difficile pour le jury de départager ces deux nouvelles... A l ‘issue du troisième tour, l‘égalité était parfaite entre les deux auteurs. Comme le prévoit le règlement du prix en pareil cas, c‘est le vote de la présidente qui compte double et fait basculer la décision, ce qui permet à Jean-Paul DIDIERLAURENT de remporter le prestigieux trophée, doté par Simon CASAS Production d’un cheque de 4000 euros et d’ un abonnement à la prochaine feria.  

J'ai donc loupé le prix à une petite voix (ou une grande, vu que c'était celle de Laure Adler, présidente du jury) et je dois avouer que ça me fait très plaisir pour plein de raisons :

- d'abord parce que le lauréat de cette année ne connaît rien à la corrida non plus (c'est réjouissant, ça montre que la littérature est plus importante que le sujet lui-même), il n'a jamais assisté aux festivités taurines et habite dans les Vosges ;

- ensuite parce que, petit à petit, je monte dans le palmarès et que je sais que je suis persévérant et que je serai encore au départ l'an prochain et les années qui suivent (au pire, je finirai par disposer d'un recueil de nouvelles complet sur le monde de la corrida  !) ;

- enfin, parce que le prix est organisé par les éditions Au Diable Vauvert, que j'aime beaucoup et que, si je n'ai pas eu le prix, c'est sans doute que Marion Mazauric défendait mon texte (elle m'a confié que ce n'était jamais le texte qu'elle défendait qui remportait le prix).

Du coup, rendez-vous l'année prochaîne à la Feria de Pentecôte pour les prochains résultats !

21/03/2009

Tout doit disparaître (sauf la littérature)

recto_nous_disparaissons.jpgIl faut un talent hors du commun pour se lancer dans un sujet casse-gueule et en tirer un très bon roman. Scott Heim démontre, avec « Nous disparaissons », son second roman, qu'il a la trempe et le culot nécessaires à pareille entreprise.

Le roman raconte comment Scott, le narrateur, empêtré dans sa dépendance à la méthamphétamine, quitte New York et son boulot alimentaire pour rejoindre sa mère, au fin fond du Kansas, afin de l'assister dans ses derniers jours, suite à l'avancée de sa maladie. Mais Dona, la mère, a bien changé depuis la dernière fois qu'il l'a vue. La maladie l'a affaiblie, certes, mais elle est surtout obsédée par les disparitions d'enfants qui se produisent dans tout le pays, obnubilée par la recherche de témoignages, de preuves et, qui sait, de coupables. Elle interroge les parents, visite les lieux de rapts, collectionne les coupures de presse.

Pour le lecteur belge, qui a vécu les années de comités blancs, la chasse aux sorcières et aux réseaux, la traque des magistrats et notables cachés derrière les enlèvements d'enfants, et bien d'autres formes de paranoïa collectives qui ont vicié les débats et la vie publics durant plusieurs années, jusqu'au procès définitif de Marc Dutroux, l'idée de suivre une mère et son fils dans leur quête des méchants inconnus qui s'en prennent aux enfants angéliques, même dans un texte de fiction, a tout pour déplaire. Et pourtant... une fois acceptée l'idée (si on ne l'accepte pas, on repose le roman avant même de l'ouvrir car le contexte est posé dès les premières lignes), on découvre un roman dont le sujet est tout autre, bien plus profond et touchant que la quête des coupables, porté par un couple de laissés pour compte terriblement humains.

D'un côté, il y a une mère alcoolique en rémission, cancéreuse au stade avancé, gentille et entière, dont la raison semble avoir basculé pour de bon de l'autre côté de cette fine frontière qui départage le bon sens du délire. De l'autre, un fils toxicomane, timide, mal à l'aise, excité par les produits qu'il fume ou inhale, assommé par les somnifère qu'il avale chaque soir. Une belle paire de déchets aux yeux de l'Amérique bien pensante ? Non, deux Américains comme tant d'autres, justement, en vie malgré tout, à l'instar de tous les autres personnages que l'on croise dans cet épais roman : une voisine plaquée par son mari, un gamin en fugue, des habitants du coin accueillants mais tous portés par une sorte de nonchalance dépressive, qui devrait faire peine à lire et n'inspire pourtant que de la compassion et de la sympathie.

Car il y a bien un tour de force dans l'écriture de Scott Heim, une sorte de manœuvre de prestidigitateur, qui, à partir d'un sujet sombre, voire plombant, parvient à atteindre l'essence même de ce qui fait l'espèce humaine, ce fil d'humanité qui se transmet d'une génération à l'autre, qui survit à la mort et dépasse la simple mécanique de chair et d'os ou les rapports de force qui lient les êtres entre eux. Difficile d'en dire plus sans dévoiler l'épaisseur même du roman, qui ne se révèle que dans les dernières pages, quand le titre du livre se met à résonner d'une tout autre façon aux oreilles du lecteur, quand les disparitions d'enfants cèdent la place à des disparitions d'un tout autre type, moins spectaculaires sans doute, moins alarmantes et moins émotionnelles, mais probablement plus humaines, tout simplement.

L'écriture de Heim est sans fioriture, elle se borne à raconter les faits, à rendre compte du déroulement des journées, et c'est par cette objectivité précisément qu'elle parvient à rendre palpable et vertigineuse la sensation que nous aussi, un jour, nous disparaîtrons, comme tout le reste.

 

« Nous disparaissons » est un roman de Scott Heim, traduit de l'américain par Christophe Grosdidier, publié Au Diable Vauvert. Le même éditeur avait déjà publié son premier roman, « Mysterious skin », il y a quelques années. Pour les fans de détails techniques, il y a 380 pages et le bouquin coûte 23 euros, qu'on ne regrette pas.