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25/10/2008

Une idée de titre pour un recueil de poésie universitaire ?

nobel.jpgJe suis un peu coincé. J'ai achevé quarante petits textes en prose poétique pour l'Université de Liège et il reste juste à trouver un titre. Ceux que j'avais trouvé jusqu'ici n'étaient pas bon ou ont été refusés (j'aimais bien "Perdre ses facultés" mais le recteur n'est pas chaud du tout, il y avait un projet de supprimer les facultés il y quelques mois). Le principe du recueil, c'est de raconter, de façon décalée, des souvenirs d'unif. Je vous mets les cinq premiers textes en copier-coller pour que vous voyiez le ton. Si vous avez des suggestions, elles sont les bienvenues...

1.

Tu as gardé une photo du jour de ton inscription, tout sourire, derrière André Dumont et ses épaules à pigeons. En haut des marches de pierre, tu exhibes avec fierté l'épais programme des cours. Ta mère a encadré la photo, ta sœur l'a accrochée au mur, ton père l'a montée au grenier, tu as rangé les caisses un jour où tu voulais faire les puces, sous un amas de poussière et de souvenirs déteints, tu as retrouvé la photo, tu l'as glissée dans le portefeuille qu'on t'a piqué dans le train, elle a volé à la poubelle avec le reste, un inconnu a mis la main dessus, il a sonné chez tes parents mais personne n'était là pour ouvrir alors il a posé sa trouvaille dans la boîte aux lettres à l'entrée de l'allée, le soir la maison a brûlé de la cave au grenier, il n'en est rien resté sauf ton portefeuille et le courrier, à l'abri dans la boîte aux lettres, puis cette photo

De toi qui t'inscris à l'université

Ultime vestige d'une vie effacée par la cendre

Qui ne survit que dans les pièces ombragées

De ta mémoire

 

2.

Voici venu le temps de la grande liberté.

Tu peux choisir toi-même ton classeur, ton papier, quadrillé ou ligné, à deux trous, plastifié, la sonnerie de ton portable, le code de la sonnette, deux coups c'est pour toi, trois coups pour Antoinette, la couleur de ton encre, la forme du sac à dos, les livres que tu liras, l'heure à laquelle tu ne t'endors pas.

C'est ton droit le plus strict car tout le monde se fout de savoir si tu écris au crayon ou si tu encodes d'un coup tes notes dans l'auditoire sur le clavier de ton PC portable.

Ici, tu fais comme il te plaît. On n'attend qu'une seule chose de toi

Des résultats

Tu le sais mieux que personne, cette étape-là n'arrivera que dans des mois

Alors, pour passer le temps, tu assistes parfois aux cours

Et parfois pas.

Tu écoutes ce qui se dit, tu notes et tu résumes

Tu lis et tu relis de gros bouquins touffus

Tu calcules, recalcules, des équations complexes

Tu emmagasines, tu classes et tu dissèques

Tout ce qui se présente à toi

Et parfois pas.

Tu prépares tes travaux avec attention, ton copies-colles sans modération,

D'autres disent souvent mieux les choses que toi

Et parfois pas.

Il y a des jours où aux cours et aux débats

Tu préfères la sieste ou les ébats

Et parfois pas.

Même quand tu dors, même quand tu ronfles et quand tu rates le bus

Même quand tu vas au cinéma, au théâtre ou chez le coiffeur

Quand tu commandes un sandwich jambon-beurre ou une soupe au merlan

Tu es étudiant

Tu participes au présent

C'est ça le temps indéfini

De la grande liberté.

 

3.

En prison, au monastère, on dirait cellule, tout simplement, mais le terme n'est pas assez vendeur alors tes seize mètres carrés, ton lit, ton évier, ton étagère, le wc sur le palier et la douche à la cave, on appelle ça un kot. Ailleurs, on dirait chambre d'étudiant, placard à balais, garçonnière, logement insalubre, mais ici on dit kot avec un « k » comme dans le mobilier Ikea dont il est équipé, le mot est un peu fort, disons plutôt garni, comme une choucroute en boîte, beaucoup de chou et peu de viande en croûte, une planche sur tréteaux, une cuisine blanche et l'étagère Billy à côté du sommier, droit sous le plafonnier, ampoule économique et interrupteur à l'entrée.

C'est ici que tu vas, quatre ou cinq ans durant, te bourrer le crâne et te bourrer tout court, en bourrer une ou deux, si possible tous les soirs, tous les ans, des heures durant, puis endurer aussi les longues séances de cafard, à douter sur ton lit, sur ta chaise à roulettes, à contempler les crottes de mouches sur le lustre en papier, puis les cartes boomerang, que tu accroches au mur pour être original, comme tout les autres, entre le clou où pendouille ta penne et l'affiche décolorée d'une pièce de théâtre que tu n'as même pas vue.

Tu redécouvres les vertus du café et de la cigarette, qu'on grille à la fenêtre en suivant d'un œil fatigué le vol d'un pigeon ou le parcours d'une vieille dame sur les pavés mouillés.

Tu es seul dans ton kot mais tu es généreux, tu partages ta solitude avec tes copains de galère, tes cokoteurs, en prison on dirait codétenus, au monastère on ne dirait rien du tout pour cause de vœu de silence mais toi, entre tes quatre murs blancs, tu peux ouvrir la fenêtre et lancer les clefs au type qui sonne en bas, rentrer à pas feutrés ou bien même à pas d'heure, tu peux déloger, tu peux entasser tes amis sur ton lit ou constater que liberté, si tu ne bouges pas ton cul, rime avec isolé, paumé et déprimé.

Alors tu files prendre l'air et t'asseoir sur un banc, les notes sur le genoux et la pluie sur la tête.

C'est si bon d'être à l'air sous le ciel de novembre.

 

4.

Tu t'es assise dans l'auditoire, tu n'es pas seule, vous êtes quelques centaines, alignées sur les strapontins, le bloc de feuilles allongé devant vous, le stylo tendu comme une corde autour du cou, la fièvre dans les doigts, le maître n'est pas encore là, la salle vibre de brouhahas.

Puis c'est parti.

D'un coup.

Un premier monte à la tribune. Un grand à lunettes qui parle au nom du cercle, un deuxième annonce un rendez-vous dans le carré, la dernière invite à venir regarder un rectangle blanc où l'on envoie des images et des sons.

A chaque cours, c'est la même chanson, avant le prof viennent les prophètes, les membres du comité des fêtes, les délégués à la représentation des élus du conseil, les bruyants, les pressés que la rumeur fébrile vient dissiper.

Le professeur arrive.

Le sourd, l'aveugle, l'éclopé

Celui que l'on écoute se taire avec respect

Celui qui parle dix minutes à voix basse

Avant de remarquer

Que le micro n'est pas allumé

Et que l'amphithéâtre est désert

Pour cause de grève sauvage.

 

 

5.

Ces têtes que tu croises, avant, après les cours, dans les grands auditoires, dans les soirées bourrées, ces têtes sont désormais celles de ta génération. Tu vieilliras plus tard, même si tu l'ignores au moment où tu tapotes ce énième sms sur ton portable sans crédit, ils vieilliront aussi, ces visages tant croisés, resteront familiers, tu les reconnaîtras au sortir de l'école quand tu iras chercher les gosses que tu n'as pas encore, au guichet de l'onem et de la mutuelle, ils seront encore là aussi, assis derrière la vitre ou sur le plateau de la télé locale, dans les conseils d'administration et les réunions de comité de quartier, dans le charter vers Antalya, sur le parking du Cora. Vous avez eu machin, qui donnait cours bourré, vous vous souvenez de truc, malade aux examens, ces têtes que tu croises, continues à croiser, c'est ton présent qui construit, image après image, les balises du passé.

C'est ainsi qu'à l'unif tu bâtis ton futur.