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20/06/2012

Qu'est-ce qu'un écrivain aujourd'hui ?

écriture, écrivain, définition, syndicat, professionnalisation, nicolas ancionJ'aurais voulu choisir pour ce billet un titre plus accrocheur, une phrase qui soit une affirmation plutôt qu'une question. Mais depuis des semaines, alors que l'idée d'écrire sur ce sujet surgit régulièrement au cours de mes ruminations, je me rends compte que chaque réponse que je peux apporter à cette question entraîne une nouvelle série d'interrogations. Par conséquent, la forme interrogative me semble convenir assez bien à ce billet un peu mal foutu.

 

À défaut de trouver un titre qui claque et une idée lumineuse qui bouscule toutes les autres, empoignons le sujet par un de ses bouts, un peu au hasard, celui-qui vient le plus spontanément à l'esprit.

 

Un écrivain est quelqu'un qui écrit.

 

Oui, cela va de soi. Mais cette réponse est si évidente qu'elle empêche de vraiment comprendre la question. Dans notre monde industrialisé où la scolarité est obligatoire, 80% des gens écrivent, ne fut-ce que la liste des commissions ou des textos par tombereaux entiers. Il faut écrire pour être écrivain, on est bien d'accord là-dessus mais suffit-il d'écrire ?

Prenons un peu de recul et sortons un moment de la littérature. Dirait-on d'un architecte que c'est quelqu'un qui dessine des maisons ? Oui, certainement, mais il ne suffit pas que je dessine les plans d'un cabanon à ériger dans le fond de mon jardin pour devenir architecte. Un architecte est quelqu'un qui dessine des maisons, professionnellement, pour des clients et qui en supervise la réalisation. Voilà qui est déjà plus complet. Je lis une différence essentielle avec la première proposition : l'architecte est un professionnel, ce qui ne l'empêche ni de dessiner des plans sans se faire payer, s'il en a envie, ni de concevoir un cabanon dans le fond de son jardin. Vous voyez où je veux en venir.

Allons-y pour une seconde tentative.

 

Un écrivain est quelqu'un qui écrit professionnellement.

 

J'entends déjà les cris de récrimination parmi les lecteurs de ce blog ! Vivre de l'écriture mais c'est (au choix:)

- de la prostitution (l'art est plus beau quand on le tient à l'écart des notions mercantiles, tout le monde sait ça)

- du boulot de mercenaire (quand on écrit sur commande, on met sa plume au service d'un projet, on se compromet fatalement, on détourne le contenu pour plaire aux commanditaires, aux lecteurs, aux généreux donateurs publics)

- de l'asservissement (écrire, c'est la liberté, vivre de l'écriture, c'est donc l'esclavage).

 

Chacune de ces objections mériterait une réponse détaillée. Vais-je prendre le temps de le faire ? Mais oui. Pourquoi pas ? Allez, c'est parti.

 

Première idée reçue à démolir : vivre de l'écriture est avilissant. Les œuvres produites par pur plaisir sont d'une qualité supérieure à celles produites contre rémunération.

Alors là, je me marre. Imaginez un instant le même genre de discours sur la peinture ou la réalisation de cinéma ? Kubrick aurait réalisé de meilleurs films en amateur et Van Gogh n'aurait peint que des croûtes s'il avait vécu dans le confort. Cela ne tient pas debout.

Un écrivain qui peut consacrer tout son temps à l'écriture atteint, ne serait-ce que par l'énergie et la concentration qu'il mobilise, un rapport avec son texte tout autre que celui qui s'y met le soir, après avoir bossé toute la journée, donné le bain aux enfants et préparé le repas... Je vois mal qui pourrait contester cela. Le fait qu'on le paie pour écrire – et si possible qu'on le paie bien – n'implique pas que son travail soit moins intéressant.

Entre nous, c'est la misère matérielle qui use pour de bon un artiste. Quand on angoisse parce qu'on ne sait pas ce qu'on va bouffer à la fin du mois, quand on a les huissiers au cul, on n'écrit pas. On boit, on fuit, on fume, on broie du noir avec un moulin à café, on cherche du boulot, de l'argent, n'importe quoi pour s'en sortir. Quand on est payé pour écrire, on peut y consacrer le meilleur de soi-même. C'est du moins ce que je pense. Payez-moi grassement et vous verrez que vous en aurez pour votre argent.

 

Deuxième idée reçue à massacrer : le travail de commande dévoie la vraie inspiration de l'artiste. Autant dire, si l'on reprend l'exemple de la peinture, qu'on peut bazarder tous les peintres jusqu'au XIXe siècle à peu près : difficile d'en trouve un seul qui n'ait pas bossé sur commande, à la demande des mécènes, sur des sujets imposés. Portraits d'aristocrates, scènes bibliques, décorations pour les nantis de toutes les époques. Que dire alors des architectes, dont le talent précisément, se déploie quand ils parviennent à la fois à respecter les contraintes qu'ils ne maîtrisent pas et à déployer leur créativité ? En écriture, pourquoi entretient-on depuis si longtemps (ceci dit, « longtemps », dans ce cas, ça ne fait que deux siècles) le mythe de l'inspiration spontanée, romantique, qui viendrait souffler l'idée originale à l'oreille du poète et du romancier ? J'ai ma petite idée là-dessus et j'y reviendrai.

 

Troisième idée reçue qui me fatigue : la vraie liberté c'est écrire sans contraintes. Quelle sinistre philosophie ! Si la liberté ne se loge que là où il n'y a pas de contraintes, autant dire qu'il n'y a pas beaucoup de liberté sur cette planète. La liberté, c'est tout simplement ne pas accepter de regarder les choses comme on nous propose de les voir. C'est ma définition, du moins, mais je l'aime beaucoup. La liberté, c'est fourrer de l'imaginaire là où le commun des mortels ne voit que la réalité toute terne. Je parle d'imaginaire, d'autres utiliseront le mot poésie, je pense pour ma part que la poésie n'est qu'une des formes de l'imaginaire (mais j'accorde bien volontiers le droit à qui le souhaite d'affirmer que l'inverse est tout aussi vrai, que la poésie englobe tous les imaginaires, et, dans la foulée, de l'appeler 'pataphysique s'il le souhaite).

Je peux être libre à tout moment, en tous lieux, si je parviens à trouver un moyen de respecter les règles mais autrement. De contourner les règles en les respectant. C'est tordu mais exaltant. J'aime faire cela, je pense que c'est ce que je fais quand on me demande d'écrire un texte sur mesure. Si ce que j'écris correspond au résultat que j'imaginais avant d'écrire, c'est que j'ai perdu mon temps. Si le texte final s'est aventuré là où je ne pensais jamais mettre les pieds, alors c'est que je suis passé du côté de la littérature.

 

Bon, je pourrais me défouler un peu plus en profondeur sur ces trois idées que j'entends sans cesse autour de moi, mais j'ai envie d'avancer sur la question de départ : un écrivain est quelqu'un qui écrit professionnellement.

 

Le paradoxe, c'est que l'écrivain n'est pas considéré comme un professionnel par la plupart des gens qu'il côtoie.

 

Par exemple, les éditeurs. Ces braves professionnels de la fabrication et de la vente de livres considèrent qu'ils doivent rémunérer professionnellement tout le monde dans a chaîne du livre, depuis le metteur en page, les correcteurs, les attachées de presse, le coursier, le personnel d'accueil au téléphone, le distributeur, ses représentants. Tout le monde... sauf l'auteur, qui ne touchera pas de rémunération en fonction de son travail mais suivant le succès du livre (qu'il ne vend pas, je le rappelle). Vendre des livres, c'est pourtant le travail de l'éditeur et du libraire, pas celui de l'auteur. L'auteur vend des textes à des éditeurs qui les transformeront en livres, notamment, mais aussi en version radiophonique ou théâtrale, par exemple, ou encore en livre numérique, en feuilleton dans la presse, etc. C'est du moins ce qui est convenu dans le contrat d'édition classique, de plus en plus raboté par les auteurs - qui signalent, à juste titre, que les éditeurs se contentent de faire des livres et rien de plus - et étendu par les éditeurs - qui se plaignent de ne plus gagner leur vie, sans noter au passage que les auteurs, eux, ne la gagnent plus depuis longtemps.

 

Mais bon nombre d'organisateurs de salons du livre et de colloques littéraires, eux aussi (alors que leur métier consiste justement à créer des événements autour des auteurs et des livres, qui sont leurs deux matières premières) considèrent qu'il n'est pas nécessaire de payer un auteur pour venir signer ou donner une conférence. Aux yeux de ces drôles d'organisateurs culturels, les auteurs sont toujours en tournée promotionnelle. Même si les écrivains sont de bonne volonté pour défendre les livres qu'on édite sur base de leurs textes, ils ne sont pas taillables et corvéables à merci. Ils ne sont pas payés pour écrire, pas payés pour promouvoir leur livre, ils ne sont pas payés pour...

Ils ne sont pas payés, voilà tout.

 

Et, pourtant, à mes yeux, un écrivain est bien quelqu'un qui vit de son écriture. Le défi est de taille et j'admire d'autant plus tous ceux et celles qui osent le relever.

 

Vivre de son écriture, cela implique de faire de l'écriture le centre de sa vie. Cela implique de trouver une solution inédite au problème de la rentrée des sous. Chacun invente sa formule : on peut être rentier et avoir tout le temps du monde devant soi, simplement un peu fortuné et dilapider petit à petit son avoir, ou, plus communément, fauché et bosser comme un chameau pour s'en sortir, en combinant, comme un bon cancérologue, tous les moyens à disposition pour atteindre son objectif.

 

C'est cette voie que j'ai choisie. Je l'assume.

 

Être écrivain, à mes yeux, c'est être chef de sa propre entreprise d'écriture. La maîtriser de bout en bout.


C'est non seulement écrire mais aussi calculer, investir, réfléchir, innover, pour éviter les fins de mois qui coincent et les pannes d'écriture, les idées répétitives et les formules toutes faites, les voies trop empruntées et les déserts de solitude.

 

J'adore mon métier, je le trouve d'autant plus passionnant que personne n'a de recette à me donner pour me guider.

 

Je suis juste un peu étonné d'entendre que certaines personne se prétendent « auteur » et avouent ne pas s'intéresser à leurs contrats ni aux enjeux du numérique, ne rien comprendre à la publication en ligne ou aux droits de traduction. « Tout ce qui m'intéresse, c'est l'écriture et mes lecteurs », entend-on parfois. Comme si un architecte avouait ne pas aimer superviser des chantiers ou un cinéaste ne pas s'intéresser à la production de ses films.

 

Ecrire, aujourd'hui est un métier qu'il faut assumer professionnellement : cela implique de négocier les contrats, de réfléchir aux rapports de force avec les éditeurs, de trouver, une fois de plus, des solutions inventives pour se sortir indemne et triomphant des contraintes imposées. Agir en professionnel avec des propositions alléchantes pour les lecteurs, les éditeurs et les libraires. Pour les lecteurs d'aujourd'hui et ceux de demain. La tâche est titanesque, c'est pour cela qu'elle est passionnante.

Un écrivain est plus que jamais un type qui écrit et qui, comme tout bon professionnel, regarde le futur bien en face avant de lui planter son stylo dans l'œil.


Sur ce, je retourne à mes cahiers et je vous embrasse sur les deux fesses.

10/05/2010

Dans l'Album sur Televesdre

Il y a quelques semaines, j'ai eu le plaisir d'enregistrer l'émission L'ALBUM pour Télévesdre, lors d'une soirée littéraire à Thimister.

 

Je ne capte pas cette télé à Carcassonne mais Internet permet de rattraper cela et tous les hqbitqnts de mon petit village de l'Aude, par exemple, mais ça marche aussi à Bamako ou aux Îles Andaman, peuvent se sentir un peu verviétois d'adoption, en regardant cette séquence.

 

Et pour les étudiants qui m'envoient des mails avec des questions d'interview, il suffit de regarder la vidéo pour trouver plein de réponses.

 

Dans tous les cas, amusez-vous bien.

 

Et merci à Urbain Ortmans pour l'interview, puis à Télévesdre pour le lien !

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26/04/2010

Combien gagne un éditeur ? Et ses auteurs ?

argentlivre.jpgJ'écris plus cette note de blog pour le gag que pour ouvrir un vrai débat mais j'ai été intrigué ce matin par un lien sur un sitez web qui annonçait "Combien gagne un éditeur ?". Info intéressante, sauf qu'il s'agissait d'un éditeur de revues spécialisées, en Flandre, et que, comme ses revenus sont de 3000 euros nets par mois, on lui demande à quoi il les dépense.

 

À vrai dire, la somme importe peu. La vraie réponse est tout simplement dans la question qu'on ne pose pas : pourquoi les éditeurs sont-ils professionnels alors que les auteurs ne le sont pas (ou très minoritairement) ? Pourquoi, dans l'édition professionnelle, tout le monde est-il payé pour son travail, sauf l'auteur, qui est payé au résultat (18 mois après les ventes, en général) ?

 

De ce point de vue, je préfère les éditeurs amateurs, qui, comme leurs auteurs, consacrent du temps à leur passion et sont ravis quand ça marche. S'ils reçoivent des subventions, elles sont entièrement investies dans la fabrication des livres. Problème, tout de même : comme je vis de l'écriture, tant bien que mal, je dois bosser avec les professionnels de l'édition. Et la question de leur salaire m'intéresse donc car 3000 euros nets par mois, comme auteur, je n'ai jamais eu ça en trois ans de métier, même exceptionnellement !

13:01 Publié dans Ecriture | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : revenus, écrivain, auteur, éditeur, édition, euros | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | |  Imprimer

05/12/2008

Ecrire Bruxelles

tram-bruxelles.jpgEn fouillant mon vieux PC, je suis tombé sur ce texte écrit il y a quelques années pour un supplément du journal "Le Soir" consacré à Bruxelles. Comme il est introuvable à ce jour, je le republie ici, pour le plaisir. Bonne lecture

 

Je n’habite plus Bruxelles. Je ne marche plus sur le boulevard Anspach les bras chargés de sachets GB, je ne monte plus dans le pré-métro pour rejoindre le parvis de Saint-Gilles, mon numéro de téléphone ne commence plus par 02 et je ne rêve plus de trouver un rez-de-chaussée avec jardin pour y emménager un jour. J’ai quitté Bruxelles définitivement, et, après avoir habité Madrid pendant deux ans, je suis à présent installé pour de bon sur les hauteurs de Liège. Pourtant, il faut bien que je l’admette : les quelques kilomètres carrés compris à l’intérieur de la petite ceinture, ceux-là même qui, vus du ciel par un pigeon féru de géométrie ressemblent à un pentagone irrégulier, sont le décor de la plupart des histoires que j’écris aujourd’hui. Est-ce un paradoxe ? Pas vraiment. Bruxelles est une ville étrange et complexe : elle me fascine autant qu’elle me repousse. Je la hais autant qu’elle m’obsède. Peu de ville, au fond, offrent un décor pareil pour développer des récits de fiction.

C’est que Bruxelles concentre à présent toutes les tares et les déséquilibres qui tissent la société d’opulence et de progrès dans laquelle nous sommes, bon gré mal gré, plongés dans ce coin de l’univers. On brasse, en effet, plus d’argent à Bruxelles que dans tout le reste du pays, on y croise plus de gens puissants, plus de preneurs de décisions et de forgeurs d’opinions que dans le reste du continent. La plupart des habitants sont venus s’installer dans notre capitale pour des raisons professionnelles, comme on choisit le fond d’écran de son PC et la sonnerie de son portable, parce qu’il faut bien. Ils ne sont que des pions perdus dans un jeu de société dont les règles ne sont plus claires pour grand monde : est-ce un simple Monopoly ? Un Qui est-ce ? grandeur nature ou un Destin dont le parcours a été embrouillé par un malade mental ? Allez savoir ! Demandez-le peut-être aux milliers de laissés pour compte, déchets de ce jeu sans pitié, de ce même rêve imposé, inemployables, inemployés, venus du bout du monde pour déprimer sur des trottoirs glacés, nés dans la ville mais dans une mauvaise famille, réduits à nettoyer les chiottes, à regarder la télé, à jouer au tiercé, à tenter de ne pas se piquer et de ne pas sombrer dans la bière, de ne pas battre leur femme, de ne pas se faire voler le lecteur de DVD, de ne pas s’endetter trop et de ne pas faire de bruit la nuit pour ne pas attirer les emmerdes. Eux aussi jouent au grand jeu, sur le même plateau, et non seulement ils ne connaissent pas les règles mais on dirait qu’ils n’ont pas souvent accès aux dés. Bruxelles est peut-être ça : un interminable plateau de jeu dont on a perdu le mode d’emploi.

Elle est simplement le résultat effarant de ce que deviennent les villes et les sociétés quand on les laisse aux mains de ceux qui les détestent, quand on remplace la gestion de l’espace et de l’intérêt publics par le tapis rouge pour les investisseurs et le profit privé. Bruxelles est le plus grand zoning industriel du pays. Un zoning de luxe : territoire de bureaux et d’institutions, de représentations commerciales et d’ambassades, où tous les ploucs du monde viennent revendiquer leurs idées et leurs intérêts. En se foutant pas mal du type qui est assis avec ses sachets plastique dans le couloir du métro, et encore plus, de tous ceux qui, invisbles, les joues mal rasées et les aisselles moites, sont terrés dans leurs appartements pourris à attendre que rien ne se passe.

Dans cette société qui ressemble à un train fou, lancée à toute vitesse sans conducteur ni destination finale, Bruxelles est simplement un des endroits où les choses vont le plus vite. Petite ville de province bombardée capitale de l’Europe, siège de l’Otan et souffre-douleur des querelles communautaires, Bruxelles est le résultat concret du manque d’amour de ce siècle qui démarre. Personne n’aime cette ville. Personne ne lui veut du bien. Personne ne la défend car personne n’y tient.

C’est terrible à dire, mais c’est à cause de tout cela que j’aime écrire sur Bruxelles. J’aime les laissés pour compte, les ratés, les mal-aimés. Bruxelles est une ville humaine, pleine de défauts et de maladresse, grandie trop vite, négligée, mal rasée, contradictoire et explosive. Ca me plaît de tenter de lui rendre justice, de dépasser l’image glacée de la Grand-Place fleurie pour parler de ce qu’il y a vraiment derrière : des gens qui rêvent de changer le monde et qui n’y arrivent pas, des types qui voudraient changer leur vie et n’y parviennent pas non plus, des humains qui se débrouillent, tant bien que mal, pour concilier leurs problèmes et le train-train qui les mine, qui espèrent finir le mois hors du rouge, rêvent de retrouver leurs gosses, leur pays. Bruxelles fourmille d’un million d’aventures solitaires qui se croisent dans la grande ville et ne se rencontrent jamais.

Il fut une époque où les artistes allaient vivre à Paris ou à New York, villes phares de la culture et du pouvoir. C’était dans un autre siècle, un autre millénaire. Je pense qu’aujourd’hui, Bruxelles est une des villes qui bougent vraiment. Une des villes qui font bouger les gens. Certainement pas dans les lieux où le pouvoir s’affiche, pas dans les hémicycles et les grandes assemblées, non, dans des ateliers et dans des têtes remuantes, venues à Bruxelles parce qu’il s’y passe des choses. Parce qu’on y danse, parce qu’on y peint, parce qu’on y chante, parce qu’on y écrit. Parce qu’on peut y rencontrer le monde entier ou presque, dans une toute petite ville de province. Parce qu’on n’y gagne pas la célébrité et l’argent. Parce que ceux qui sont venus s’y installer, ceux qui y font étape et ceux qui les accueillent ont autre chose dans la tête que des petits mouvements de pions et des règles obscures. Ils luttent tous les jours contre l’apathie galopante, contre la ville mal aimée, pour faire naître un peu de rêve dans un monde déprimé. Cette énergie est la plus grande richesse de Bruxelles. Celle qui incitera le voyageur à faire étape, le romancier à écrire, le citoyen à espérer.

Avec mes histoires, j’essaie juste de montrer que j’aime cette ville que je déteste. N’a-t-on pas inventé un nom pour parler de cela ? Abruxellation, tout simplement. Inventé à Bruxelles en 2000. Rien que pour ce mot-là, la ville mérite d’être célébrée.

15:39 Publié dans Presse | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, bruxelles, roman, ville, écrivain, nicolas ancion, 2000 | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | |  Imprimer

16/06/2008

En gare de Louvain

Zogezegd08vanhole.JPG Je viens d'apprendre, il y a quelques minutes à peine, le décès de Kamiel Vanhole, avec qui j'avais eu l'immense bonheur de partager six semaines de train à bord du Literaturexpress 2000. Nous nous étions rencontrés à Bruxelles avant de nous envoler vers Lisbonne pour rejoindre Berlin en passant par toutes les villes possibles et imaginables ou presque. Kamiel était néerlandophone, drôle, d'une discrétion et d'une gentillesse à toutes épreuves. Il ne se déplaçait jamais en voiture, parlait souvent de sa femme et de ses deux filles qu'il avait laissées à Louvain pour participer à cette aventure littéraire hors du commun.

Nous avons partagé des couchettes de train, une chambre à Malbork et des soirées de déprimes à Minsk, nous avons semé la police secrète à Kaliningrad et bu de la vodka bon marché. Nous avons ri tant de fois, mangé au moins deux fois plus, et échangé nos impressions sur ce voyage au bout de la littérature. Cela faisait des années que je me disais que je devais l'inviter à venir, un soir, manger à la maison, pour qu'on se rappelle tout ça. 

Et puis, un jour, il est trop tard pour toujours.

J'ai tout de suite repenés à ce poème que j'avais écrit en 2002, un soir en passant près de chez lui en train. Je le publie ici en guise d'hommage et je me tais. Je suis ému comme je l'ai rarement été. Kamiel était un écrivain plein d'humour, un gars qui aimait ses trois femmes, qui a traversé l'Europe avec un sachet en plastique.

Un vrai type bien.

Il me manque déjà. 

 

En gare de Louvain

 

Un bus passait au loin

Pas très loin de la gare

Mais au loin tout de même

Pas assez près pour voir le numéro, le visage du chauffeur ou la destination

Un bus dans la nuit tout de même

Ça se reconnaît : des néons blancs, de grandes vitres et des tas de sièges vides

Un bus passait au loin

Et j’étais un peu seul

Assis en gare de Louvain

A l’avant du train de nuit

J’avais quitté Paris sans même un au revoir

J’avais roulé ma bosse comme le font les chameaux

Un bus passait au loin en gare de Louvain

Et mon ami Kamiel soudain

Est venu près de moi dans ma tête

Chauffeur de bus piéton

Kamiel et son sachet

A Louvain

Quelque part

Endormi près d’Agnès

Deux ans que je ne l’ai revu et pourtant

Kamiel est mon ami

Mon seul ami flamand

Avec Leo peut-être

Pas plus Flamand que moi

Mais le bus, non

Leo n’était pas dans le bus

Il n’y a que Kamiel à Louvain

Pour prendre le bus à cette heure-ci

Surtout si près de la gare

Ou si loin

Le monde est sinistre comme un mouchoir de poche.

 

17:15 Publié dans Ecriture | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : kamiel vanhole, vanhole, poésie, leuven, overleden, scrijver, écrivain | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | |  Imprimer

03/04/2008

Visites dans les classes

269174951.jpgIl y a quelques jours, j'ai complété, à l'attention du Ministère en charge de la Promotion des Lettres belges, un relevé des visites que j'ai eu le plaisir d'effectuer dans les classes en Belgique (pour ceux qui ne connaissent pas le système, la Communauté française défraie les auteurs qui sont invités par une école, à condition que tous les élèves aient au moins lu un livre de l'auteur et aient préparé la rencontre): j'ai rencontré 28 classes au cours de ce premier trimestre, dans des communes aussi proches les unes des autres que Gembloux, Jumet, Liège et Beauraing, par exemple. Ça représente 1233 kilomètres rien qu'en Belgique, auxquels il faut encore ajouter mes déplacements depuis Carcassonne. Beaucoup de CO2 dégagé, auquel il faut ajouter les gaz que je laisse échapper dans le train quand je me lève avant l'aurore, les tonnes de bois et de chlore pour produire le papier sur lequel tous ces bouquins sont imprimés. De quoi laisser une fameuse empreinte derrière soi. Il y a des jours où je me sens une dégaine de Yéti...

N'empêche, quel plaisir! A chaque fois, de nouvelles têtes, de nouvelles questions, une manière différente d'apprécier une histoire, de percevoir un personnage. Et puis les surprises, comme cette école de Court-Saint-Etienne qui a carrément adapté en film de 40 minutes mon roman "Le garçon qui avait mangé un bus". Le projet de toute une année! Tous les élèves de 1re et 2e secondaire ont joué au moins un bout de rôle, après avoir mis au point le scénario et les dialogues. J'étais littéralement sans voix. Au point que j'ai eu bien du mal à prendre la parole à la fin de la projection, tant j'étais encore sous le coup de l'émotion. Un vrai moment de magie, c'est certain. Et un DVD que je conserve précieusement.

En avril, c'est reparti pour un tour. Au programme, cette fois, Gand, Bruxelles, Ans, Kain, Mons et Stavelot. Je vais en voir du pays en une semaine! 

(La photo qui illustre cette note a été prise à Huy à l'Institut Technique de la Communauté française, en mars dernier, à l'invitation de Madame Depermentier) 

Et tant que j'y suis, je copie-colle les réactions transmises par l'enseignante à la suite de la visite :

« Nicolas (sic) nous a parlé avec franchise, générosité et honnêteté. Cette rencontre restera gravée dans mon esprit. Merci.  »

-         « J’aime son esprit de voyageur, son respect de la nature. »

-         « Il dégage une forte personnalité. J’ai aimé quand il parlait des peluches et aussi de sa vie. »

-          « J’ai retenu que les arbres peuvent voyager malgré leurs racines, c’est un encouragement pour moi dans mes projets futurs. »

-         « Je pensais que les écrivains étaient différents de nous, mais non, sauf qu’ils s’expriment avec plus de vocabulaire et en profondeur…. C’est une bonne chose d’avoir fait cette rencontre. »

-         «  Quel bavard !  Mais j’ai aimé sa façon de voir et de vivre les choses. » 

-         « Merci à lui d’avoir bien voulu dédicacer notre livre. »

-         « J’ai retenu les titres de ses livres, qui sont comiques et attirants (sauf Une vraie Merde) » (hé, hé, celui-là n'est même pas encore écrit, ndla)

-          « Je croyais qu’on allait voir quelqu’un de trop sérieux, mais c’est mieux comme ça, il m’a donné envie de lire autre chose. »