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31/10/2016

L'odeur du papier imprimé

Aimer les livres n’empêche pas de dire et de penser des conneries. Ni même d’en écrire d’ailleurs. Bien au contraire.

librairie-4.jpgCombien de fois ai-je lu, entendu, subi, la rengaine des amateurs de bouquins imprimés, prétendant qu’avec le livre numérique, on allait perdre l’essentiel : l’odeur du livre, le toucher des pages, le bosselé de l’encre sur le papier épais ou même la beauté des couvertures en quadrichromie glacée ? À chaque fois que ce refrain arrive à mes oreilles, il se superpose aux images tout droit sorties de ma mémoire, où la lecture est à jamais associée aux pages décolorées et ternes, au couvertures fanées et à l’odeur de tabac froid qui accompagne les romans d’occasion, quand ce n’est pas aux feuilles rabotées des collections reliées plein cuir de la bibliothèque des Chiroux, coupées si ras, façon coiffeur militaire, qu’il ne reste plus place dans les marges pour poser les doigts. Si je devais décrire les livres qui m’ont fait voyager pendant l’adolescence, les premiers mots qui me viendraient à l’esprit seraient sans doute : jaunâtres, poussiéreux et malodorants.

Oui, je l’avoue volontiers, la plupart des livres que j’ai dévorés puaient !

Si j’ai évoqué l’odeur de tabac froid, plus haut, c’est par respect pour les sensations des lecteurs de ce petit texte, car l’antre dans lequel j’achetais mes poches d’occasion, à l’entrée de la rue Saint-Séverin, sentait plutôt à la fois la vieille cave, le champignon et le renfermé que le cendrier trop plein. Le libraire colossal aux cheveux gras qui surveillait l’entrée par-dessus la couverture d’un livre auquel je ne prêtais aucune attention avait beau afficher en vitrine quelques vieux Tintin et l’une ou l’autre revue littéraire d’avant-guerre, il n’était pas à proprement parler bibliophile, plutôt – comme bien d’autres – bibliophage, voire biblio-dealeur, transformant sa librairie d’occasion en biblio-souk, en bibliothèque infinie où quelques heures de fouilles ne permettaient pas de sonder les trésors enterrés dans les profondeurs de ces étagères, de ces caisses et de ces bacs, dans les arrière-salles crasseuses, derrière les piles de magazines jaunis, parmi les dons à trier, les rebuts à composter, les livres à emporter. Pour parler de la douce odeur du livre imprimé, dans un taudis pareil, il aurait fallu se boucher les deux narines à la fois et avoir les yeux sérieusement à côté des orbites. (...)

Pour lire gratuitement la suite de cette nouvelle publiée cet automne par les éditions de la Province de Liège, dans le cadre de l'opération "C'est écrit près de chez vous", il suffit de suivre ce lien et de télécharger le fichier epub.

L'image qui illustre ce texte est tirée de ce blog. Ce texte a été écrit à partir de quelques témoignages de lecteurs recueillis en 2015 dans les bibliothèques de la Province de Liège. En plus de ce texte, n'oubliez pas de lire aussi les deux autres nouvelles, écrites par Katia Lanero Zamora et Luc Baba dans le même cadre.

09/06/2012

Numérisation des indisponibles : lettre de Bernard Blanc au Président

Pause.jpgDepuis quelques mois, la loi sur la numérisation des oeuvres indisponibles indispose bon nombre d'auteurs, dont je suis. J'ai déjà eu l'occasion de m'en expliquer à plusieurs reprises.
Ce matin, j'ai reçu copie d'une lettre adressée au nouveau Président de la République par Bernard Blanc.
Comme elle me semble aussi pertinente que bien tournée, je lui ai demandé l'autorisation de la diffuser ici. C'est donc avec grand plaisir que je vous la communique.
Et merci à Bernard pour ce joli courrier. J'espère de tout coeur qu'il recevra les suites qu'il mérite.

 

Lorgues, le 6/6/2012


Monsieur le Président,

Je vous parlais, hier, de la question des droits d'auteur qui bloquent la diffusion de chefs-d'oeuvre du cinéma français. Je vous fais confiance pour trouver une solution à ce problème. Hélas, cette même question empoisonne aussi l'existence des écrivains et des traducteurs littéraires.
En effet, la loi du 22 février 2011 permet désormais à une Société de perception et de répartition des droits, créée avec des fonds publics (on parle de 50 millions d'euros) d'assurer une rémunération aux éditeurs et aux auteurs grâce à la numérisation de tous les textes publiés avant le 1er janvier 2001 indisponibles en version papier. Cette société est autorisée à les remettre en vente et ce, sans que les auteurs ou leurs ayants-droit en soient informés. Il leur faudra surveiller régulièrement une base de données pour s'y opposer. Si le jour où l'une de leurs œuvres épuisée est numérisée ils sont en train de boire un coup à la plage ou de travailler à un autre livre en Sibérie, tant pis pour eux, ils n'avaient qu'à être plus vigilants ! À leur retour, à eux d'engager une procédure longue et coûteuse avec un bon avocat pour s'opposer à cette violation du droit d'auteur et du Code de la Propriété intellectuelle.
Bien sûr, il est essentiel d'assurer l'édition numérique de toutes les œuvres du XXème siècle. C'est notre patrimoine, et il doit rester à la disposition de tous. Mais pas sur le dos des auteurs ou de leurs ayants-droit ! Il n'est pas acceptable qu'un éditeur décide de ne plus exploiter une œuvre papier et soit rémunéré à égalité avec l'auteur quand un texte tombe sous la loi du 22 février 2011. En gros, le patron ferme l'usine, mais il continue à toucher un pourcentage sur l'allocation chômage de ses ouvriers – j'aimerais savoir ce qu'en pense Mr Arnaud Montebourg, Ministre du redressement productif !
Et si je décide de distribuer gratuitement un de mes livres dont j'ai récupéré les droits ? La société qui gère tous les textes indisponibles en version papier publiés avant le 1er janvier 2001 me fera un procès ? Monsieur le Président, on marche sur la tête, là. C'est l’auteur – ou, à défaut, ses ayants droit – qui décide seul d’une nouvelle diffusion de son œuvre. Tout éditeur – numérique ou papier – qui souhaite exploiter à nouveau l'œuvre en question doit d'abord lui proposer un contrat.
Le 22 février 2011, l'État français a légalisé le piratage. Je vous prie de demander à votre Ministre de la Culture (à laquelle j'envoie une copie de cette lettre) d'abroger tout simplement cette loi et de chercher, en concertation avec les auteurs et les éditeurs, un moyen plus décent de remettre en circulation les œuvres littéraires et les traductions introuvables en version papier.
Dans l'attente, recevez, Monsieur le Président, l'assurance de mes meilleurs respects.


Bernard Blanc

11/10/2011

L'homme qui valait 35 milliards, la bande annonce

Ca y est, "L'homme qui valait 35 milliards" ressort en poche chez Pocket, avec cette jolie couverture :

9782266205283.jpg

Et comme le court métrage pour annoncer la sortie en grand format avait bien marché, voici la nouvelle version pour la sortie en poche:

11/12/2010

Le cadeau de Noël idéal !

Lhommequi.jpgLa chasse aux cadeaux est ouverte ! C'est chaque année le même cirque, il faut non seulement trouver des idées de cadeaux pour des tas de gens mais aussi en donner à plein d'autres qui ne savent pas quoi vous offrir.

 

C'est là que ce blog peut vous être utile !

 

Mon dernier roman est très joli, il est plein d'illustrations de Patrice Killoffer, il est imprimé sur du beau papier et, du coup, il est un peu cher. Ce n'est pas vraiment un tarif de livre de poche. C'est en revanche un très bel objet à demander à ceux qui vous aiment très fort.

 

(D'accord, s'ils vous aimaient tant que ça ils auraient eu l'idée eux-mêmes. Mais dites-vous bien qu'une petite suggestion pour un cadeau sur mesure vaut mieux qu'un cadeau mal choisi qui dort au fond de l'armoire jusqu'au prochain déménagement.)

 

Pour la Noël, offrez-vous donc ou faites vous offrir "L'homme qui refusait de mourir" (Éditions Dis Voir, 111 pages, ISBN 2914563574, 29 EUR).

 

Et si vous êtes timide, que vous n'osez pas suggérer vous-même ce cadeau, partagez ce lien sur Twitter, sur Facebook ou sur le truc que vous voulez. affichez-le à la fenêtre de votre appart, sur la portière de votre 4x4, portez-le en badge, même... Qui sait, ça donnera peut-être des idées à ceux qui veulent vous faire plaisir !

 

10/11/2010

15 auteurs en 15 minutes ? Mais ça prend 15 secondes...

La chaîne fait le tour des blogs en ce moment et, comme j'ai reçu une invitation insistante, je m'y mets moi aussi.

 

nico.jpgVoici tout d'abord le principe :

  Ne prenez pas trop de temps pour y penser. Quinze auteurs (incluant les poètes), qui vous ont influencé et que vous garderez toujours dans votre cœur. Listez les 15 premiers dont vous vous souvenez en moins de 15 minutes.

(Note personnelle, avant de m'appliquer à l'exercice : 15 minutes pour 15 auteurs, c'est un peu généreux, surtout si on veut que la liste reflète les premiers qui viennent à l'esprit) 

 

J'y vais.

1. Georges Perec

2. André Baillon

3. Henri Michaux

4. Fernando Arrabal

5. Roger Vailland

6. Eugène Savitzkaya

7. Mark Z. Danielewski

8. Boris Vian

9. Christian Gailly

10. Alexandre Dumas

11. René Philippe

12. Jacques Sternberg

13. H.P. Lovecraft

14. René Goscinny

15. Franz Kafka Paul Emond

 

Bon, la liste est parfaitement bordélique, si vous voulez plus d'information, vous pouvez toujours demander, je répondrai volontiers.

 

Et si vous avez envie de vous livrer à ce petit jeu vous aussi, n'hésitez pas. D'ailleurs, juste pour le plaisir, je me demande ce que répondraient Didier Millotte, Thierry Crouzet ou Paul Emond, que j'ai cité en lieu et place de son copain Franz.

 

Total.jpg

Je les ai tous trouvés en photo dans les éditions que j'ai lues sauf "la Pierre de la Folie" d'Arrabal que j'avais lue dans la version Bourgois.

 


08/11/2010

Un bon écrivain est un écrivain mort

enard1.jpgEn ce jour d'enterrement littéraire de première classe, de remise de prix au cœur de Paris, un texte amusant m'est revenu en mémoire, il est signé par Jean-Pierre Enard, décédé en 1985. Est-il le père ou l'oncle de Mathias Enard, finaliste du Goncourt ? Je n'ai pas trouvé l'info, peu importe d'ailleurs, le texte est stimulant et tonique, il mérite qu'on en relise deux tranches (que j'ai habilement choisies pour vous donner envie de lire le reste).

 

Un bon écrivain est un écrivain mort

 

Jean-Pierre Enard

 

(Editions Finitudes, 2005)

 

La France, c’est connu, aime la littérature. Quel que soit son régime, elle est folle de ses écrivains. A une condition, une seule, minime, certes, mais indispensable : qu’ils soient morts. Pour les vivants, qu’ils crèvent. La postérité fera le tri.

On tolère quelques exceptions. Ceux dont la rigueur cadavérique, le ton blême et l’écriture sépulcrale permettent d’avoir des doutes. Sont-ils morts ? Sont-ils vivants ? On ne sait plus. Mais s’ils sont vivants, ils ne le sont guère. On peut leur pardonner.

(…)

On en arrive à cette mystification : le grand écrivain français vivant n’existe pas. Il s’appelle Julien Gracq, Jean-Marie Gustave Le Clézio ou Marguerite Yourcenar. Des ombres qu’on frôle à peine et qui semblent hors du temps, hors de la chair, hors d’eux-mêmes. Parfois, l’un de ces zombies entre à l’Académie. On s’aperçoit alors qu’il a deux pieds, comme vous et moi, qu’il tient dessus pour lire son discours de réception et que, quand il est fatigué, il s’assoit. On est déçu. Surtout qu’il arrive que le grand écrivain qu’on croyait immatériel se gratte le mollet en public. On se rattrape. On décide qu’on s’était trompé. On a jugé trop vite. On le renvoie sur son rocher, là-bas, où on ne le verra plus. On essaie de l’oublier, comme un chagrin d’amour. Plus tard, bien plus tard, on le redécouvrira. Il sera peut-être mort dans la misère. C’est toujours bon, pour l’avenir.

Sinon, si vous continuez comme Calet, comme Perros, comme Reverzy, de respirer l’air du temps et de vous nourrir de pain quotidien, il vous faudra, comme eux, payer le prix. Publier avec l’assentiment agacé des journalistes qui trouvent que vous écrivez trop. Pour les fruits secs que sont les critiques et les professeurs qui décident de la mode, écrire, c’est forcément écrire trop. L’idéal, pour mériter leur considération, c’est un livre de quatre-vingt-deux pages tous les douze ans. Louis-René des Forêts, voilà l’écrivain type qu’on peut encenser sans danger d’être obligé de le lire. Si vous faites plus, un livre tous les deux ans, ou, horreur, tous les neuf mois, c’est du lapinisme. Il n’y a plus que les pauvres pour avoir des familles nombreuses. Il n’y a plus que les pauvres pour être obèses. Un écrivain qui écrit est donc un écrivain pauvre. Ou, si vous préférez, un pauvre écrivain...

 

enard2.jpgJe n'en copie pas plus, je vous laisse le plaisir de savourer ce texte dans le livre original, publié par les éditions Finitudes sous le titre Un bon écrivain est un écrivain mort. Et vous pourrez télécherger la totalité du premier chapitre gratuitement sur le site de l'éditeur.

Dommage que Jean-Pierre Enard soit mort, tout de même, car ce texte à lui seul suffit à en faire un bon écrivain ;-) Et dire qu'il a été rédacteur à Pif et directeur de la Bibliothèque Rose !

07/08/2009

Le livre d'occasion est-il un livre ?

dyn003_original_479_360_pjpeg_10304_5e4884f7f94fad5f312a7d2aa0fe3f3f.jpgDepuis quelques années, une question me taraude : pourquoi exclut-on systématiquement les ventes de seconde main des études qui cherchent à prendre le pouls du marché livre ? Un livre acheté d'occasion n'est-il pas un livre ?

Je suis un grand lecteur et un très petit acheteur, surtout en chiffre d'affaire. Depuis toujours, je lis avant tout :

  • des livres empruntés en bibliothèque ;
  • des livres qu'on me prête ;
  • des livres que j'achète de seconde main (chez les bouquinistes, sur les brocantes et vide-grenier...) ;
  • des livres qu'on m'offre (cadeaux, services de presse...).

Quand j'achète des livres en librairie, ce qui est très rare, c'est avant tout parce qu'on m'a offert des Chèques-Lire ou parce que j'ai envie de compléter une série que j'ai dénichée ailleurs (il me manque le troisième tome, je n'ai pas lu le premier volet...). J'achète avant tout des livres pour enfants (faut de bon réseau de seconde main sur ce thème).

La part du budget du ménage que je consacre à l'achat de livres est, du coup, dérisoire. Suis-je pour autant un petit consommateur de livres ? Certainement pas, il y a des milliers de livres à la maison, dont plus de 500 rien que pour mes enfants. Alors, pourquoi mes achats de livres ne sont-ils pas considérés comme des achats par les études spécialisées (comme celle sur le marché du livre en Communauté française de Belgique, par exemple)?

J'ai cherché à comprendre et la meilleur explication est que, même si l'étude est commanditée par le Ministère de la Culture, elle vise à informer avant tout un secteur économique, celui de l'édition, qui n'a rien à gagner dans le marché de seconde main, au contraire, ils y voient surtout une perte de ventes pour eux. Alors que tout les gros lecteurs vous confient qu'ils lisent surtout en bibliothèque et se fournissent dans le marché de seconde main, aux yeux du monde de l'édition, un gros lecteur est un gros acheteur de livres neufs, ce qui n'est pas du tout la même chose.

Du coup, l'analyse culturelle des achats de livres n'a, à mes yeux, aucun intérêt, car elle passe sous silence un fait réel : la quasi éternité du livre. On n'achète peut-être plus autant de livres qu'avant (ce qui reste à voir) mais on les détruit toujours aussi peu (le livre est un objet respecté, voir sacré), on les conserve, on les stocke en rayonnage et dans le grenier, on les prête, on les offre : ils circulent encore, donc ils vivent !

Mes enfants lisent les livres que j'ai lus à leur âge, ils ont pillé la bibliothèque familiale. Ce sont des livres qui ressuscitent. Et cela n'apparaît pourtant nulle part dans les statistiques (toujours des statistiques d'achat et de transactions commerciales).

Je consulte en quelques instants des livres tombés dans le domaine public grâce à Internet (encore du Hugo, tout récemment, qui est aussi dans ma bibliothèque, pourtant), je fais revivre le texte. Cela n'apparaît pas non plus dans les statistiques.

Et ces milliers de marchands de livres d'occasion, sur les quais, dans les villages du livre, boulevard Lemonnier à Bruxelles... Ils ne vendent pas du livre ? Comment se portent-ils en temps de crise ? Vendent-il plus, vendent-ils moins, nous n'en savons rien, malheureusement, car... le livre d'occasion n'est pas un livre, aux yeux des sondeurs de marché.

Heureusement que les lecteurs ne sont pas aussi bornés qu'eux !

Avez-vous d'autres idées à ce sujet, je serais ravi d'en discuter avec vous...

 

21/03/2009

Tout doit disparaître (sauf la littérature)

recto_nous_disparaissons.jpgIl faut un talent hors du commun pour se lancer dans un sujet casse-gueule et en tirer un très bon roman. Scott Heim démontre, avec « Nous disparaissons », son second roman, qu'il a la trempe et le culot nécessaires à pareille entreprise.

Le roman raconte comment Scott, le narrateur, empêtré dans sa dépendance à la méthamphétamine, quitte New York et son boulot alimentaire pour rejoindre sa mère, au fin fond du Kansas, afin de l'assister dans ses derniers jours, suite à l'avancée de sa maladie. Mais Dona, la mère, a bien changé depuis la dernière fois qu'il l'a vue. La maladie l'a affaiblie, certes, mais elle est surtout obsédée par les disparitions d'enfants qui se produisent dans tout le pays, obnubilée par la recherche de témoignages, de preuves et, qui sait, de coupables. Elle interroge les parents, visite les lieux de rapts, collectionne les coupures de presse.

Pour le lecteur belge, qui a vécu les années de comités blancs, la chasse aux sorcières et aux réseaux, la traque des magistrats et notables cachés derrière les enlèvements d'enfants, et bien d'autres formes de paranoïa collectives qui ont vicié les débats et la vie publics durant plusieurs années, jusqu'au procès définitif de Marc Dutroux, l'idée de suivre une mère et son fils dans leur quête des méchants inconnus qui s'en prennent aux enfants angéliques, même dans un texte de fiction, a tout pour déplaire. Et pourtant... une fois acceptée l'idée (si on ne l'accepte pas, on repose le roman avant même de l'ouvrir car le contexte est posé dès les premières lignes), on découvre un roman dont le sujet est tout autre, bien plus profond et touchant que la quête des coupables, porté par un couple de laissés pour compte terriblement humains.

D'un côté, il y a une mère alcoolique en rémission, cancéreuse au stade avancé, gentille et entière, dont la raison semble avoir basculé pour de bon de l'autre côté de cette fine frontière qui départage le bon sens du délire. De l'autre, un fils toxicomane, timide, mal à l'aise, excité par les produits qu'il fume ou inhale, assommé par les somnifère qu'il avale chaque soir. Une belle paire de déchets aux yeux de l'Amérique bien pensante ? Non, deux Américains comme tant d'autres, justement, en vie malgré tout, à l'instar de tous les autres personnages que l'on croise dans cet épais roman : une voisine plaquée par son mari, un gamin en fugue, des habitants du coin accueillants mais tous portés par une sorte de nonchalance dépressive, qui devrait faire peine à lire et n'inspire pourtant que de la compassion et de la sympathie.

Car il y a bien un tour de force dans l'écriture de Scott Heim, une sorte de manœuvre de prestidigitateur, qui, à partir d'un sujet sombre, voire plombant, parvient à atteindre l'essence même de ce qui fait l'espèce humaine, ce fil d'humanité qui se transmet d'une génération à l'autre, qui survit à la mort et dépasse la simple mécanique de chair et d'os ou les rapports de force qui lient les êtres entre eux. Difficile d'en dire plus sans dévoiler l'épaisseur même du roman, qui ne se révèle que dans les dernières pages, quand le titre du livre se met à résonner d'une tout autre façon aux oreilles du lecteur, quand les disparitions d'enfants cèdent la place à des disparitions d'un tout autre type, moins spectaculaires sans doute, moins alarmantes et moins émotionnelles, mais probablement plus humaines, tout simplement.

L'écriture de Heim est sans fioriture, elle se borne à raconter les faits, à rendre compte du déroulement des journées, et c'est par cette objectivité précisément qu'elle parvient à rendre palpable et vertigineuse la sensation que nous aussi, un jour, nous disparaîtrons, comme tout le reste.

 

« Nous disparaissons » est un roman de Scott Heim, traduit de l'américain par Christophe Grosdidier, publié Au Diable Vauvert. Le même éditeur avait déjà publié son premier roman, « Mysterious skin », il y a quelques années. Pour les fans de détails techniques, il y a 380 pages et le bouquin coûte 23 euros, qu'on ne regrette pas.