08/03/2011
La solitude, c'est toujours mieux à deux
Ça y est me revoilà assis
avec les doigts gelés
j’arrive à l’instant du froid
et je m’assieds
dans un machin qui ne bouge pas
c’est un restaurant je crois
il y a des gens attablés pas loin de moi
avec des airs de Polonais
en visite à la pizzeria
je me rends compte à quel point
ces textes sont dérisoires
pas vraiment des histoires
sans doute pas des poèmes
ma façon à moi de retenir le temps qui passe
de prendre des photos dégueulasses
avec les dents
et la mauvaise foi crasse
d’un grand enfant
j’avais envie de bouffe indienne
quelle drôle d’idée
à Varsovie
qu’à cela ne tienne
je n’en ai pas trouvé sur ma route
pourtant fort sinueuse
alors comme j’avais froid et faim
et qu’on peut mourir des deux
je suis entré au plus vite
dans ce boui-boui
fort respectable
et ça y est je suis assis
seul à ma table
on est toujours seul quand on écrit
d’ailleurs
c’est souhaitable
c’est pour ça qu’on écrit si peu
sans doute
parce que la solitude au bout du compte
c’est toujours mieux à deux
quoi qu’on raconte
08:45 Publié dans À lire en ligne, Ecriture, Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : pologne, varsovie, poésie, nicolas ancion, littérature, solitude | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer
07/03/2011
Dans le tram à Varsovie
Dans le tram ça faisait longtemps
que je n’avais plus écrit dans un tram
pourtant les rails
pourtant le bruit
la pluie battant sur le carreau
c’est comme si c’était hier
c’était il y a au moins cinq ans
Bruxelles
la poésie ne colle pas du tout à
Bruxelles
(dans le tram j’écrivais des romans)
les années ont passé
dans le tram ça faisait longtemps
que je n’avais plus écrit dans un tram
ce n’est pas un drame
mais d’être ici à Varsovie
juste à côté des doubles portes
avec le vent
avec la pluie
et le sol du tram glacé
qui colle aux pieds
j’en ai les doigts tout raides
à chaque arrêt
les portes s’ouvrent
les pneus de voitures lancent
des bruits d’eau qu’on écrase
des gémissements de freins
je suis dans le tram 29
ça ne s’invente pas
tram sale en site propre
et dans la nuit qui couvre la Pologne
je rejoins une dernière fois
l’hôtel de luxe
qui m’héberge
les feux tricolores les enseignes
dédoublés dans les flaques d’eau
ponctuent le trajet rectiligne
bientôt l’hôtel bientôt le luxe
puis la très très courte nuit
avant de dormir dans l’avion
combien de poèmes reste-t-il
avant de rejoindre la maison
et de ranger mon carnet
nul ne le sait sauf mon stylo
mais il ne compte jamais
que jusqu’à un
08:36 Publié dans À lire en ligne, Ecriture, Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : tram, varsovie, poésie, carnet de voyage, littérature, nicolas ancion, pologne | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer
04/03/2011
C’était sur MTV Allemagne
C’était sur MTV Allemagne
une caméra cachée
avec chrono
je n’ai jamais compris à quoi servait le décompte
mais un gros type à lunettes
bouffait de la saucisse bien grasse
avec ses doigts
avant de rendre aux clients effarés leurs photos développées
pleines de graisse et de traînées
C’était sur MTV Allemagne
en amerloque doublé de teuton
avec de la musique de fond
au même moment Michel Drucker
léchait les pompes de Pascal Sevran
ou peut-être le contraire
c’en était dégoûtant
devant le sourire complice de Geluck
la publicité les a interrompus
c’était Brise WC et c’était salvateur
un peu d’air frais chimique
après la merde publique franchouillarde
London Calling - The Clash
pour un résumé de foot sur Eurosport
les années passent
le monde ne bouge pas vraiment
il n’y a toujours que onze joueurs par équipe
ailleurs des flics en noir dans une banque enfumée
un Polonais en chaise roulante
des Taïwanais fachés
tout ça en quelques minutes
dans le poste à Katowice
publicité se dit Werbung
sur MTV Allemagne
mais c’est toujours la même soupe
en sachet
et des sonneries de téléphone
quoi qu’il arrive
après la pub toujours la caméra cachée
il faut que je me remette à écrire
car rien ne change jamais
sur MTV Allemagne
07:08 Publié dans À lire en ligne, Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pologne, télévision, poésie, nicolas ancion, mtv | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer
03/03/2011
Deux poèmes par jour
Au moins deux poèmes par jour
ce n’est pas le médecin qui le dit
c’est moi
et je ne suis pas médecin du tout
ni même poète
tant mieux
Au moins deux poèmes par jour
c’est simplement du plaisir
on n’a que la poésie qu’on se donne
ou qu’on s’offre
Au moins deux poèmes par jour
l’un sous la douche dès le matin
qui mousse sous les bras
et se mélange aux poils
Au moins deux poèmes par jour
l’autre tombe au plus mauvais moment
dans les toilettes du train
dans la file à la caisse
un gros poème joufflu
avec une casquette et des petites lunettes rondes
Sans les deux poèmes du jour
impossible de tourner la page
le soir
impossible de regarder le monde
qui tourne sous la neige
il faut alors rester au lit
rester au chaud
rester au calme
et lire les poèmes des autres
15:25 Publié dans À lire en ligne, Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, nicolas ancion, écriture, littérature | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer
02/03/2011
Entre Varsovie et Katowice
Entre Varsovie et Katowice
dans un compartiment surchauffé
j’ai vu défiler la Pologne
si plate
avec ses petits pins plantés
au milieu des lacs de neige
Entre Varsovie et Katowice
c’était déjà l’heure du dégel
et du crépu minuscule
qui se balade au crépuscule
sur les étendues glacées
trois femmes dans mon compartiment
l’une d’entre elles lit un roman
l’autre un fatras de papier
la troisième ronfle
comme moi
nous sommes au cœur de la Pologne
Entre Varsovie et Katowice
et d’un coup une des femmes demande
dans un très joli français
s’il ne fait pas trop chaud
qui le traduit aussitôt en joli polonais
tout le monde est bien d’accord
que le chauffage nous incommode
on se sourit en double langue
et l’air frais
oui l’air frais
celui qui caresse les oreilles rouges
d’un infime baiser
glisse par la porte entrouverte
jusqu’à mon cahier ligné
le train repart
emportant avec lui la petite ville
au nom imprononçable
et ses usines enneigées
Nous étions trois à lire
trois à parler français
dans le compartiment six
entre Varsovie et Katowice
23:34 Publié dans À lire en ligne, Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pologne, train, poésie, nicolas ancion | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer
28/02/2011
On est toujours jaloux de la littérature des autres
On ne choisit pas l'endroit où l'on naît
Encore moins le moment
Ça se fait comme ça neuf mois après un moment d'égarement
Ou de fureur terrible et passionnée
On ne choisit pas
On fait avec
On fait avec
ça pourrait être la devise de ma patrie
Je viens de Belgique
Ce petit pays dont on dit – en ce moment - qu'on ne le gouverne pas
Alors qu'il y a six gouvernements en place
- et un seul hors d'état -
Mais on fait avec on ne choisit pas
Je suis né là
au début des années soixante-dix
ces années qui n'ont jamais existé en Belgique francophone
on les a remplacées par les années septante
J'ai grandi dans ce pays-là
Avec de la famille dans celui-ci
J'aimais ce Québec où l'on faisait pousser mes deux cousines
Année après année
Dans des écoles fermées pour cause de tempête de neige
En hiver
- ça me faisait rêver -
Et fermées en été
une fois la neige fondue
Pour cause de vacances en Belgique
Dans le jardin de ma grand-mère
J'ai grandi avec dans un coin de la tête
Ce Québec-ci qui bouillonnait
Celui que l'on réécoute ce soir
Avec son français aux couleurs rouges d'érable
Avec ses mots et ses histoires
Dont je ne connaissais que les contours
et les échos
Ces histoires d'indépendance et de souveraineté
De combat pour la langue
Alors qu'on ne se battait chez nous que dans la cour de récré
Et encore pas très fort
On est toujours jaloux de la littérature des autres
Celle du Québec en ces années-là me faisait rêver
L'idée que la littérature puisse se chanter se gueuler
Se mêler au monde pour le changer
Se mêler de politique
Que les livres puissent s'écrire et se lire au milieu des gens
avec non seulement quelque chose à dire
mais aussi à gagner
Que la littérature risque par moment la prison
Ou la victoire
C'était à rendre pâle d'envie
Le petit Belge que j'étais
dans sa littérature endormie
Où l'on coupait les cheveux en quatre
Pour savoir si oui ou non
La Belgique
Ce petit machin laissé pour compte
Avait droit à son histoire
Ou si elle n'était qu'un département de France mal annexé
Mal indexé dans la grande histoire littéraire
Sorte de toilettes au fond du jardin de la Cacadémie française
Alors qu'ici
Non seulement il y avait une littérature
Mais elle se soulevait
Comme le couvercle d'une marmite à pression mal fermée
Comme la levure d'une génération
Une littérature levure poussée par son imaginaire
L'image me plaît
On voit les bulles d'air dans la pâte
Pour respirer
On est toujours jaloux de la littérature des autres
De toute façon
Et c'est très bien ainsi
La jalousie est un excellent moteur
De découverte
D'exploration
Et d'écriture
Aussi plus tard à l'Université
Quand j'ai dû lire et étudier ces textes aux titres importés
qui se mêlaient en une grande fête :
La vallée des rapaillés
Prochain épisode dans la vie d'Emmanuel
L'amélanchier hurle
ou encore
Salut, la grosse Galarneau est enceinte
J'avais l'impression que ma langue dans tous ces livres-là
Avait plus de sens que ma petite langue à moi
Qu'elle prenait de l'ampleur
Qu'on lui avait ajouté cette drôle de levure aux saveurs d'automne
J'avais l'impression que publier des livres et que monter sur scène
Cognait plus fort ici
Dans les veillées
Dans les assemblées
Dans les chansons
Que chez les vieux libraires d'Europe
Et dans ces universités poussiéreuses
Où la littérature ressemblait à un cadavre depuis longtemps enterré
Qu'on ressortait du formol pour mieux la disséquer
Mes impressions étaient sans doute fausses
Et déformées
Ce n'est pas grave
On est toujours jaloux de la littérature des autres
De toute façon
Et c'est très bien ainsi
Au même moment vous rêviez peut-être d'Hergé ou de Magritte
De Verhaeren ou de Simenon
Qui sait
C'est ce qui nous manque
qui donne envie de découvrir le monde.
On dit parfois que la littérature c'est l'évasion
Mais la littérature c'est le voyage et c'est la vie
C'est le rêve
C'est le réveil après le rêve
Et le sommeil quand on a les yeux cernés
Les yeux fermés et grand ouverts sur le monde intérieur
la littérature c'est tout ça et tout le reste
Et c'est si beau quand ça se partage
Sur la place du village ou les quais du métro
Que ça vaut bien une indépendance et une révolution
Mes impressions sons sans doute encore fausses
Et déformées aujourd'hui
Ce n'est pas grave
Elles m'ont permis de croire depuis toujours
Qu'on peut écrire tout seul
Dans sa petite langue à soi
Celle que l'on brasse à l'intérieur
Et que ces mots qu'on pense tout bas
Lâchés à haute voix
Sont les armes d'une révolution en marche
Une révolution qui ne s'arrête pas à un drapeau
À un combat
À un choix sur un bulletin de vote
Qu'elle est une forme de résistance permanente
Un acte de foi
Un passe partout
Qui ouvre une porte oubliée
Sur l'autre bout du monde
Sur un continent où l'on n'a pas encore mis les pieds
Où l'on retourne cependant chaque soir
Plein d'espoir
Tout seul
A sa table
Creusant à l'intérieur de soi
À l'intérieur des textes
Pour inventer ces pays libres qui n'existent pas
Tant qu'on ne leur a pas donné vie
On est toujours jaloux de la littérature des autres
C'est vrai
Mais à tout prendre l'herbe me semble plus verte sous la neige
D'une province qui veut s'émanciper
Que sous le ciel gris d'un pays morcelé
qui a renoncé à la fois
à la révolution et à ses rêves
Ce texte a été écrit et lu hier en public à Montréal, le 26 février, à l'occasion de la Nuit Blanche à la Grande Bibliothèque, dans le cadre du Cabaret Pas Tranquille, hommage à la littérature de la Révolution tranquille.
Le cabaret pas tranquille a été organisé par Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) et l'Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ).
Merci au passage à l'UNEQ, qui a proposé de me joindre aux festivités (et tout particulièrement à Denise Pelletier, qui est aussi la photographe des deux clichés ci-dessus, en cours de révision et en cours de lecture) puis à Olivier Kemeid qui a orchestré la soirée.
11:06 Publié dans À lire en ligne, Ecriture, Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : québec, révolution tranquille, poésie, nicolas ancion, nuitblanche | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer
27/02/2011
Le Prix Unique du Livre Numérique est un combat perdu
Cela fait déjà quelques jours que la loi sur le Prix unique du livre numérique (loi PULN ou Prisunic, selon les goûts) a été votée à l'Assemblée nationale (en France, donc) après avoir été débattue au Sénat. Depuis cet épisode, et suite à quelques commentaires publiés à gauche et à droite (parfois même au milieu) quelques personnes m'ont demandé ce que je pensais de cette loi.
Pour faire court, je pense qu'elle est déplorable, passéiste, archaïque et inadaptée.
Mais cela demande tout de même un peu d'explication.
La loi, en résumé, vise à établir un prix unique pour le livre numérique homothétique (ce vilain mot, qui rappelle le vocabulaire de la géométrie, désigne un livre numérique qui correspond à un livre papier sans y ajouter de contenu multimédia). L'éditeur sera chargé de déterminer ce prix et de le faire connaître au public. Le prix de vente ne pourra donc varier d'un vendeur en ligne à un autre.
En théorie, cela peut sembler séduisant.
En pratique, c'est une vraie aberration pour les auteurs, les lecteurs, les libraires.
Cet avant-projet ne travaille que pour défendre les éditosaures et, plus encore, les distributeurs, qui aujourd'hui, sont les intermédiaires qui s'enrichissent le plus dans le monde du livre papier industrialisé
Voici les extraits de mails que j'ai échangés à ce sujet pour expliquer en détail pourquoi les auteurs ne devraient en aucun cas soutenir cette loi.
MAIL 1
Autant je défends le prix unique du livre papier en France (et me suis battu, en vain jusqu'ici, pour qu'il soit établi en Belgique également) parce qu'il défend la librairie, autant je ne peux soutenir un projet de loi qui tente de maintenir, dans l'édition numérique, la position de force des éditeurs papier et de leurs consortiums de distribution. Cette proposition de loi est le simple résultat de l'influence d'un lobby qui, au lieu de travailler à l'évolution de son métier, préfère user de son influence pour protéger son pré carré.
Depuis douze ans, je vois les anciens éditeurs raconter des salades, prétendre parler au nom des auteurs alors qu'ils ne parlent qu'en leur nom propre, chercher à convaincre des dangers du piratage au lieu de voir les enjeux pour la création, la diffusion, la démocratisation de la lecture que représente le numérique.
Ces éditosaures fixent le prix du numérique non pas en fonction des coûts de fabrication mais dans le seul but de "ne pas nuire au papier" alors que de nombreux auteurs, dont je suis, peuvent démontrer par exemple qu'en donnant le livre gratuitement en ligne (les vieux appellent ça du piratage) on multiplie les ventes en librairie.
Je sais, en théorie, cela semble aberrant. Dans la profession, on ne veut pas y croire. On ne veut pas essayer. Ceux qui font le test; pourtant, connaissent la réponse.
En pratique, pourtant, c'est la réalité observée. (À bien y réfléchir, les éditeurs le savent très bien, eux qui arrosent chaque sortie de livre de 200 à 1500 copies gratuites envoyées à la presse et aux relais qui comptent, dont les libraires et les blogueurs. Ils se piratent eux-mêmes, devrait-on alors dire, pour respecter leur façon de penser le numérique.)
Ce genre de politique (distribution gratuite du fichier PDF à la sortie du livre par l'auteur) sera interdite par la loi, qui voudrait que l'éditeur fixe un prix et une valeur pour les textes numériques, quel que soit le canal de diffusion...
L'enjeu du numérique, pour les auteurs, est d'utiliser ces nouveaux outils de diffusion des textes pour exister en dehors du rapport de force commercial imposé en librairie, dans la distribution et dans l'édition par de grands groupes adossés à une presse complaisante.
Ces groupes français ont aujourd'hui peur des géants américains, alors ils exigent une loi, qui n'a rien à voir ni avec les auteurs ni avec les lecteurs.
Les auteurs ne devraient pas, à mes yeux, soutenir ce projet qui va dans le mauvais sens et se contourne si facilement, en installant le siège des sociétés au Luxembourg, par exemple, qu'il n'a aucun sens. Il ne s'applique pas, de toute façon, aux géants internationaux, Amazon, Google et Apple qui y sont déjà installés. En outre, cette loi n'a pas de champ d'application car elle signale que le prix doit être identique pour des vendeurs qui offrent le même service. Or, à ce jour, Amazon, Apple et Google, par exemple, offrent des livres numériques dans des formats différents, qui ne proposent pas le même service (et chaque revendeur peut ou non ajouter des DRM, un marquage, grouper des oeuvres... on estdans le numérique, tout est possible, justement, c'est une simple manipulation de données)
Les auteurs et leurs associations devraient être au créneau aujourd'hui pour défendre les 50% de revenus sur les droits numériques perçus par l'éditeur, comme c'est le cas dans les droits dérivés (traductions, adaptations cinéma ou théatre).
Voilà le combat qui devrait être mené.
Celui-là, au moins, les auteurs pourraient être fiers de le remporter !
MAIL 2
Je n'aime pas le travail législatif inutile. Au mieux, il fait perdre du temps, au pire, il sert d'écran de fumée pour masquer les vrais combats.
Première question (elle est double) : quel est l'enjeu de cette loi et quel objectif vise-t-elle ?
Une loi qui ne concerne que les entreprises établies sur le territoire français pour régler un enjeu numérique, c'est un non sens complet. C'est aussi idiot qu'un prix unique du livre qui ne s'appliquerait que dans un département de France et autoriserait tout de même la vente par correspondance depuis les autres départements. Dès aujourd'hui, la loi ne s'applique ni à Amazon ni à Google ni à Apple. La loi s'en débarrasse en disant que tout cela relève du contrat de mandat (quelqu'un peut-il me dire ce dont il s'agit ?)
Une loi qui parle de livre numérique mais ne s'applique qu'aux acteurs français du secteur se transforme aussitôt en handicap concurrentiel pour les acteurs nationaux. Tant mieux pour les éditeurs belges, canadiens et suisses ;-)
Ensuite, une loi sur le prix de vente numérique qui ne s'applique qu'aux éditeurs papier, c'est un deuxième non sens. Les vrais éditeurs numériques, qui éditent des livres inédits ne seraient donc pas concernés (ce ne sont pas des livres homothétiques, puisqu'il n'y a pas de papier).
Je devine derrière ces paradoxes la vraie nature et les véritables enjeux de ce projet de loi : préserver dans le numérique les rapports de force de l'édition traditionnelle et obliger les petits acteurs à plier le cou devant les gros (Hachette, Editis, Gallimard,...) En d'autres termes, préserver les vents de livre en librairie, pour sauver financièrement les maisons d'édition et leur éviter de faire face aux enjeux qu'elles devraient avoir pris à bras le corps depuis... dix ans
Ma deuxième question découle de la première : en quoi les auteurs doivent-ils soutenir le sauvetage des éditeurs alors que tout montre que l'évolution des l'édition dans les vingt dernières années (regroupement et rachats puis industrialisation à outrance, avalanche de titres, système d'office et de retours aberrants...) s'est faite sur le dos des auteurs, en rongeant petit à petit leurs revenus, leurs à-valoir et leurs droits ?
Il n'y a pas de raison de se montrer solidaire de ce système, bien au contraire.
Le moment serait venu de frapper du poing sur la table, de réclamer des conditions correctes pour les auteurs (aujourd'hui, je suis deux fois mieux payé pour traduire un mauvais roman américain qui ne marchera pas que pour écrire un roman original qui sera republié en poche et adapté pour le théâtre ou le cinéma ! Si l'on compare les à-valoir en usage, les traducteurs sont, en moyenne, deux fois mieux payés que les auteurs ! Et trois ou quatre fois mieux que les auteurs littéraires.
Cette loi prisunic n'aura aucun effet.
Elle n'a pas d'avenir.
Il faut l'abandonner sans même en discuter et se pencher sur la meilleure manière de travailler à l'heure du numérique.
Travailler, ça veut dire publier, diffuser, partager.
Ça ne veut certainement pas dire légiférer, à mon sens. Il est bien trop tôt pour ça.
Il faut créer, publier, diffuser.
Bosser. Contrer. Argumenter.
Ensuite évaluer et, si nécessaire, légiférer avec un objectif concret et un enjeu réel.
Le combat sur le Prix unique du livre numérique est un combat qu'il faut perdre pour mieux gagner la vraie guerre. L'enjeu est d'utiliser le numérique comme un tremplin pour faire se rencontrer les textes et les 80% de citoyens alphabétisés par notre système scolaire, dont la grand majorité ne lit jamais ou presque.
(Pas même les merdes industrielles empilées en tête de rayon dans les supermarchés. C'est dire s'il y a du travail ;-)
C'est tout de même une tâche plus noble que de maintenir le petit monde de l'édition en état de marche, vous ne pensez pas ?
18:32 Publié dans Ecriture | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : loi, numérique, prisunic, puln, auteurs, littérature, ebook | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer
Le lecteur est-il propriétaire du texte qu'il lit ?
Amis lecteurs, que vous soyez fidèles de ce blog ou simplement de passage, vous ne suivez pas nécessairement les débats, parfois complexes, qui se tiennent autour de l'avenir de l'édition, à l'ère de la révolution numérique. Et je vous comprends, ils ne sont pas toujours passionnants, la discussion prend trop souvent la tournure d'une querelle entre Anciens et Modernes, défenseurs de l'odeur du papier contre amateurs d'innovations technologiques.
(Je signale aux premiers que les ordinateurs aussi ont une odeur et un bruit de ventilateur dont nous serons nostalgiques dans vingt ans et aux seconds que les poubelles sont remplies de gadgets qui devaient révolutionner notre vie quotidienne. Mais cette querelle stéril n'est pas l'obejt de ce billet. Je m'égare)
Une question essentielle qui surgit, pour savoir vers quel modèle économique l'édition numérique doit s'orienter est de savoir si le lecteur se sent propriétaire du texte qu'il veut lire.
Quelle question étrange, me répondrez-vous ! Pas tant que ça, quand on l'explique en détail.
En effet, on oppose en ce moment le mode de consommation du cinéma, où l'on regarde un film sans nécessairement le posséder (par exemple quand on va le voir en salle, quand on le regarde à la télévision ou quand on le loue au vidéoclub) et la consommation de musique, où les fans purs et durs veulent « acheter un disque », pour parler en termes prénumériques, c'est-à-dire aujourd'hui acheter (ou télécharger gratuitement) un fichier permanent qu'ils pourront copier d'un ordinateur à un baladeur mp3 et ainsi de suite.
En cinéma, le modèle de commercialisation numérique qui semble avoir le vent en poupe aujourd'hui, c'est Netflix, un service où pour 7$ par mois, vous pouvez regarder autant de films que vous le souhaitez, en streaming, sur votre ordinateur, en toute légalité. Vous ne possédez pas le film, vous n'en gardez pas de copie sur votre disque dur, vous payez juste pour le droit de le regarder (comme quand vous regardez un petit film sur Youtube – tiens, celui-ci, au hasard ;-) Amazon propose le même type de service, où l'on paie à la "location", pour le moment. Le forfait devrait suivre.
En musique, en revanche, le modèle le plus répandu est celui d'iTunes (je ne mets pas de lien : Apple fait bien trop de pub dans le monde entier pour que je leur fasse ce plaisir) où l'on paie pour acheter un fichier numérique, que l'on peut ensuite plus ou moins copier selon les droits acquis et les vendeurs qui les cèdent. D'autres modèles existent aussi, comme Spotify, qui offre le service de base gratuitement et légalement (on peut écouter en ligne mais pas copier; quand on paie l'abonnement, on peut avoir accès à tout moment aux morceaux qu'on a téléchargés) ou LastFm, qui, pour un abonnement mensuel (3$ au Canada, je pense) donne accès à tout un catalogue, à des radios et des playlists.
Et la littérature dans tout ça ? Très bonne question, cela fait plaisir de voir que vous suvez, merci de m'aider à garder le fil de ce billet.
Les éditosaures, ces éditeurs papier qui ont peur du numérique - et redoutent tant de s'y aventurer qu'ils ne regardent même pas ce qui s'y fait en ce moment - ne pensent qu'au vieux modèle de la chaîne du livre. Ils se demandent comment l'appliquer au monde numérique. Ils veulent alors vendre les livres à la pièce, à un prix prohibitif (80% du prix du livre papier), via des librairies en ligne et hurlent au scandale quand Apple ponctionne 30% sur les ventes de livre, alors que ces mêmes éditeurs cèdent au moins 35% à la Fnac, à Cultura et aux grosses librairies, quand ce n'est pas beaucoup plus.
Ils viennent même de convaincre le système législatif français à mettre en place un prix unique du livre numérique aberrant, qui oblige tous les acteurs français du marché (donc pas Apple, Amazon et Google) à vendre le livre numérique au même prix, fixé par l'éditeur. Une manière pour eux d'empêcher le marché d'évoluer et sassurer ainsi que pendant quelques années ils peuvent conserver leur quasi monopole sur l'édition-distribution dans l'Hexagone. (Une stratégie d'autrcuhe qui les perdra, mais ce n'est pas l'objet de ce billet.)
Certains éditeurs purement numériques, comme publienet sont déjà passés à la formule abonnement, où tout le catalogue est accessible à volonté pour un forfait annuel. Smartlibris propose également un service similaire pour 9,9 EUR par mois, mais comme il est dédeloppé pour l'iPad en rpiorité, son succès risque d'être limité (le parc d'iPad francophones n'est pas encore très étendu et tous les propriétaires ne sont pas des lecteurs, bien entendu). Amazon prépare très certainement le même genre de forfait pour son lecteur maison (le Kindle) bientôt et il n'est pas impensable que des acteurs historiques comme France Loisirs, Harlequin, ou des aventuriers plus récents comme les éditions Bragelonne, proposent à leur tour une formule du même type. On lit à volonté, on n'achète pas le livre mais le droit de lire, sur son ordi, son téléphone portable, sa liseuse, peu importe. Dans le cas de publienet, on reçoit tout de même le fichier, on peut le copier, l'imprimer...
La question importante arrive alors. Le lecteur veut-il être simple locataire du texte, comme le spectateur d'un concert ou d'un film, l'usager d'une bibliothèque publique, ou propriétaire, comme le collectionneur de DVD, l'acheteur de musique sur iTunes ou le bibliophile ?
À mes yeux, l'auteur est toujours propriétaire du texte qu'il a produit au départ (c'est le fondement du droit d'auteur iamginé par Beaumarchais) mais le lecteur ne sera jamais un simple locataire, bien au contraire.
C'est lui qui héberge le texte dans sa tête, qui transforme les mots (ces petits machins morts qui n'en ont pas l'R) en images, en sensations. Il ne loue pas plus les textes qu'il ne loue ses vacances : il les vit, tout simplement. Et les souvenirs de cette vie-là, celle de la fiction, personne ne pourra les lui enlever.
Bien heureusement, d'ailleurs.
La littérature n'est pas un objet, c'est un mouvement, c'est une expérience qui se sent, s'éprouve et se comprend, simultanément, dans un étrange mélange, quel que soit le support.
Numérique ou papier.
Vieux livre de poche tout puant ou bel écran rétroéclairé, texte lu à travers la radio crachotante ou fraîchement imrpimés sur papier bouffant.
Une fois franchie la frontière de la fiction, on entre de plein pied dans un univers all-inclusive qui n'appartient qu'aux leceteurs, où chacun se fabrique son film, ses photos et ses amours de vacances.
PS : En illustration, un panneau d'affichage en tête de rayon vu dans une librairie anglophone hier à Montréal.
MISE A JOUR : le début de conversation avec Franck Queyraud dans les commentaires ci-dessous a donné naissance à un billet très intéressant sur le rôle des bibliothèques dans ce futur environnement numérique. À lire dans la foulée.
00:48 Publié dans Ecriture | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, édition numérique, netflix, amazon, apple, livre numérique, éditosaures | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer